LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

À Noailles, la tristesse et la colère s’affichent dans la rue

Après les effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille, les manifestations organisées par le Collectif du 5 novembre – Noailles en colère ont réuni des milliers de Marseillais dans la rue. Avant même les marches, les affiches qui les annonçaient étaient omniprésentes sur les murs de la ville. Nous avons accompagné les petites mains qui les ont collées.

On ne prendra pas de photos de visages. C’est la condition qu’a posé Georges*, qui coordonne les affichages pour le Collectif du 5 novembre, à notre venue. « Il y a de la tolérance, mais l’affichage n’est pas libre », explique-t-il.

L’appel aux bonnes volontés a été lancé quelques heures avant sur Facebook, avec un visuel vintage. Les personnes souhaitant coller des affiches étaient invitées à se manifester en message privé. C’est comme cela qu’elles ont su le point de rendez-vous dans Noailles, où Charlotte et Asmahane* attendent à 20 heures, ce mardi 4 décembre. « Ils avaient demandé d’amener des seaux et de la colle, mais je n’ai rien », commente Charlotte. Elle a amené du scotch. Asmahane aussi. C’est la première fois qu’elles participent aux affichages. C’est même la toute première fois qu’Asmahane, étudiante, fait une action militante. « Je voulais soutenir le mouvement. J’ai toujours voulu travailler dans l’humanitaire, du coup j’aime bien donner un coup de main », explique-t-elle. Elle a vu passer l’annonce, elle était libre ce soir.

Des seaux, de la colle et beaucoup de scotch

Georges*, la trentaine, vient d’arriver seau et affiches à la main. Il n’est pas beaucoup plus expérimenté.« Vous savez, moi c’est l’Assemblée de la Plaine qui m’a filé le seau il y a quinze jours ! », répond-t-il aux filles soucieuses de leur manque d’équipement. Le scotch, c’est bien pour les arrêts de tram par exemple. « On essaie de ne pas coller dessus à la colle. » Arrivent enfin des gens un peu plus aguerris. Francis et Pauline, la petite trentaine, ont leur propre matériel et ont déjà pas mal affiché dans la rue. La troupe se constitue en binômes pour couvrir un périmètre plus important. « On peut faire des groupes de niveau », blague Francis.

Les dernières affiches appellent à la mobilisation devant la mairie centrale, pendant le conseil municipal. ©Julie Le Mest

Les affiches de ce soir ne concernent pas une nouvelle manifestation, mais un rassemblement prévu par le Collectif du 5 novembre à l’occasion du prochain conseil municipal, le 10 décembre. La mairie de Marseille est fortement mise en cause depuis les effondrements de la rue d’Aubagne, accusée d’inertie sur la question du mal logement.

Le 5 novembre dernier, deux immeubles s’effondraient rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles à Marseille, emportant huit vies. Le drame sans précédent a jeté la lumière sur l’état de dégradation de ce quartier central, pauvre et multiculturel mais aussi de milliers de logements de la ville. Depuis, 1500 Marseillais ont été évacués de chez eux dans l’urgence. A l’ampleur du choc répond une mobilisation inédite. Organisées par le Collectif du 5 novembre – Noailles en Colère, monté dans le quartier après le drame, une marche blanche, le 9 novembre et une marche de la colère, le 14, ont réuni chacune 10000 Marseillais de tous quartiers et de toutes conditions.

La mobilisation, qui met en cause les pouvoirs publics et en premier lieu la mairie, ne s’est pas essoufflée. Le 1er décembre, une troisième manifestation, « pour un logement digne », a réuni 12000 personnes, en intégrant le cortège des gilets jaunes. (Vidéo : Cassandre AMOUROUX)

Des volontaires dans tous les quartiers de la ville

Ils seront six à coller. Une légère baisse par rapport aux semaines précédentes où ils étaient une dizaine par soir, en se relayant, selon Georges. Il y a aussi ceux qui habitent loin et demandent les visuels au Collectif du 5 novembre pour afficher dans leur quartier. « Les gens n’ont pas de gros moyens, mais il suffit d’une imprimante chez soi », commente Georges. D’où viennent ceux qui ont fait ces demandes ?« De tous les quartiers de la ville », sourit-il.

Difficile de trouver la technique de collage du premier coup. ©Julie Le Mest

Avant de partir de son côté avec Francis, Pauline discute un peu. Elle travaille dans le social et elle est là en tant qu’«ancienne habitante de Noailles, entre autres.» Entre autres ? Pauline soupire.  «Oh, est-ce qu’il faut vraiment dire le reste ?» Le reste, une fois lancé, dure cinq minutes. Il y a les voisins évacués de chez eux dans l’urgence, qui se retrouvent à la rue avec tous leurs bagages, sans qu’aucun transport n’ait été prévu pour les accompagner à l’hôtel. Il y a les services du 115 sollicités pour les délogés, et les personnes en grande précarité qui ne trouvent plus de place en hébergement social (lire l’article de Marsactu sur le sujet). «Ça fait des années que j’habite à Marseille, et c’est absolument honteux, l’absence de réaction de la mairie, souffle-t-elle. Il faut mettre la pression à Gaudin, parce qu’il dit qu’il n’est pas responsable, qu’il a fait ce qu’il a pu.»

«Ça ne nous a pas surpris.»

Le groupe se sépare. Georges* entraîne les novices en direction du Cours Julien. Charlotte scotche les affiches sur les portes et rentre dans les bars pour proposer d’en laisser. « J’avais vu passer les appels, à chaque fois je me disais, « là je peux pas ». Ce soir, je pouvais.» Elle travaille dans la culture, vit à Marseille depuis 15 ans. «Je suis touchée depuis le début. Choquée, en colère, atterrée par ce drame. C’est quelque chose qui ne nous a pas surpris», lâche-t-elle. La dégradation de Noailles est connue depuis longtemps. Le quartier a fait l’objet de plusieurs plans de rénovation, mais une étude commandée en 2014 par la mairie indiquait que 48% des immeubles du quartier relevaient encore de l’habitat indécent ou dégradé.

Charlotte n’a jamais milité par le passé à Marseille. «Je suis étonnée et contente de voir qu’il y a une mobilisation autour de ça. Je ne les connais pas, à Noailles en Colère, mais je les trouve assez exemplaires. Ils communiquent bien, il y a des articles dans la presse.» Le travail du collectif ne s’arrête pas aux affichages et aux manifestations. Entre autres actions, ils accompagnent les délogés, et ont rédigé collectivement un manuel pour aider ceux-ci à se repérer dans le dédale des démarches administratives liées à leur situation (le guide en ligne). Et les bonnes volontés dépassent les frontières du collectif et du quartier : «C’est la première fois depuis que je vis à Marseille que je vois une telle mobilisation, à plein de niveaux, admire la jeune femme. Tous les jours, il y a une collecte, une soirée de soutien.»

Le matériel de base pour coller des affiches. ©Julie Le Mest

«Tu noues des relations avec des gens de toutes catégories sociales et professionnelles.»

Les trois semaines d’affichage intensif ont rodé Georges*. Deux coups de pinceaux pour encoller le mur, il pose l’affiche, deux autres coups par dessus, il passe à la suivante. Et recouvre en priorité les affiches des manifestations précédentes. «En général, je colle juste au dessus des tags, commente-t-il, sur un mur blanc, j’aime pas.» Affecté à l’affichage au sein du Collectif du 5 novembre, il s’est pris au jeu et aux rencontres. Il y a ceux qui se joignent aux sessions, et les passants. «Ils nous voient en train de coller, ça les interroge, ils viennent parler. Tu noues des relations avec des gens de toutes les catégories sociales et professionnelles. Il y a des commerçants de ma rue à qui je parlais pour la première fois.»

Les nouvelles affiches remplacent les anciennes. ©Julie Le Mest

L’affiche de ce soir innove par rapport aux précédentes sur un point : au-dessus de l’annonce de l’événement, elle mentionne une liste de collectifs, en plus du Collectif du 5 novembre. Des collectifs de quartier (dont celui de Maison Blanche), mais aussi des syndicats et Rouge Vifs, un groupe communiste.

Elle dessine une sphère plutôt à gauche de l’échiquier politique, sans surprise. Plusieurs des figures du Collectif du 5 novembre sont des militants de longue date pour les quartiers populaires de Marseille, associatifs et parfois politiques.

«Je suis là parce que les voisins sont morts au bout de ma rue.» 

Ce n’est pas le cas de Georges*. Comme Charlotte, il travaille dans la culture. «Je ne suis pas du tout militant politique, depuis que je suis à Marseille je n’ai rien fait. Je suis là parce que les voisins sont morts au bout de ma rue. En plus, chez moi, j’ai aussi des problèmes de logement.» Il a rejoint le Collectif du 5 novembre dès le début du mouvement : une réunion publique organisée le 7 novembre, qui a rassemblé les habitants du quartier. Au doigt mouillé, il estime que le collectif se compose pour moitié de gens qui ont un passé militant, et pour moitié de personnes comme lui, novices dans l’engagement. «Mais il n’y a que des gens qui ont une histoire avec le quartier de Noailles.» Sur les sessions d’affichages, les débutants sont majoritaires.

Pour le collectif et pour lui, «c’était une évidence d’être présents dans la rue. Le collectif a une page Facebook, mais il y a plein de gens qui ne sont pas sur Facebook. Mine de rien, le fait d’être présent, d’avoir une grande visibilité, fait que des gens rejoignent le mouvement.» Mais, tient-il à souligner, «l’affichage, ce n’est pas le truc principalC’est d’abord la solidarité avec les délogés, et tous les gens du quartier qui sont dans la mouise, dont les propriétaires ne font pas les travaux.»

Et même si les affiches étaient partout, il doute que leur effet ait été déterminant dans la mobilisation. «Beaucoup de gens sont très sensibles au sujet du logement. Il a fallu un drame… Les gens en ont marre des politiques véreux. Moi, je ne me sens pas représenté.» Il tente un parallèle, «c’est comme les gilets jaunes, les gens sortent de chez eux, ne sont pas forcément politisés.»

La session de collage se termine dans un bar à proximité de la place des Capucins, celle du marché de Noailles. «Je peux vous laisser encore une affiche ?», demande Georges* au comptoir. «Bien sûr, on va la mettre derrière la porte», répond la tenancière. Elle fournit le scotch.

Julie LE MEST

*A la demande de plusieurs des personnes interviewées, leurs prénoms ont été modifiés.

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