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Bolsonaro face au Congrès : la tentation autoritaire

Depuis une dizaine de jours au Brésil, une vidéo circule sur Whatsapp invitant les citoyens à une manifestation contre le Congrès, le 15 mars prochain. Jair Bolsonaro, le président brésilien, a lui-même contribué à sa diffusion.

Cela ressemble à un piratage du téléphone présidentiel. Mais c’est bien Bolsonaro, l’actuel président brésilien, qui soutient une marche antiparlementaire. Mardi 25 février, il a partagé une vidéo sur Whatsapp, appelant le peuple à manifester le 15 mars prochain contre le Congrès national et le Tribunal Suprême, les deux organes législatif et judiciaire du pays.

On y voit des images de l’actuel chef de l’Etat durant sa campagne électorale, notamment lorsqu’il a été victime d’une attaque au couteau. « Il est presque mort pour nous », « il est notre unique espoir pour des jours meilleurs » peut-on lire sur les commentaires d’un ton religieux.

« Travailleur », « patriote », « chrétien ». La vidéo appelle les brésiliens à descendre dans la rue pour défendre celui qu’ils considèrent comme leur messi contre « tous les ennemis du Brésil ».

Une crise institutionnelle latente

Comment ne pas voir une position anti-démocratique lorsque des institutions républicaines sont directement remises en question ?

Surtout que le président d’extrême droite a plusieurs fois évoqué sa nostalgie de la dictature (1964-1985) lors de sa campagne électorale. Depuis sa prise de fonction il y a un an, le chef de l’Etat multiplie les hostilités à l’encontre des institutions républicaines.

En mai 2019, Bolsonaro avait déjà critiqué le système politique brésilien, regrettant que les parlementaires ne soit pas plus rapides pour faire passer ses réformes. Ces déclarations avaient mené à des appels à manifester contre le Congrès de la part des pro-Bolsonaro.

En octobre, il partage une vidéo sur les réseaux sociaux montrant un lion attaqué par des hyènes, chacune portant le logos d’institutions : partis politiques, mouvements sociaux ainsi que le Tribunal suprême (organe judiciaire le plus haut de la République brésilienne).

Dernière offensive le mois dernier, de la part du général Augusto Heleno, ministre du Cabinet de la sécurité institutionnelle auprès du président (le bras droit de Bolsonaro). Dans des enregistrements rendus publics, il accuse les députés de faire du chantage à l’exécutif… et conclut « qu’ils aillent se faire foutre ».

La presse également dans le viseur du président

Jair Bolsonaro n’a jamais porté la presse très haute dans son estime. Depuis qu’il a été élu, il privilégie les réseaux sociaux plutôt que les médias pour s’adresser à son peuple.

C’est d’ailleurs dans son émission hebdomadaire en direct sur Facebook le jeudi 27 février que Bolsonaro s’en est pris à la presse, soit deux jours après la diffusion de la vidéo. « La première chose que la presse a comme règle générale, c’est le mensonge, je ne prétends pas, je l’affirme », a -t-il commencé. Devant quelques 78 000 internautes, il a remis en cause le travail des journalistes les qualifiant de « pourris », cherchant « à le vaincre ».

Pour finir, il a même annoncé qu’il allait rencontrer des hommes d’affaires à Sao Paulo pour leur demander de priver deux journaux brésiliens de publicité : la Folha de Sao Paulo et Epoca. Le premier avait notamment révélé la campagne de fausse information mené par le camp Bolsonaro sur Whatsapp avant les élections présidentielles.

Un durcissement du régime à prévoir ?

Difficile de dire si cet épisode aura des effets plus significatifs que les précédents. Pour Carlos Pereira, enseignant chercheur en sciences politiques à la Fondation Getulio Vargas, il s’agit d’une stratégie politique de la part d’un « gouvernement rétrograde et autoritaire qui refuse le jeu traditionnel de la politique ». « Lorsqu’il ne dispose pas d’une coalition majoritaire, il utilise son électorat conservateur pour faire pression sur le Congrès. C’est son mode opératoire depuis le début, et ça le restera jusqu’à ce que ce gouvernement soit en place », explique-t-il sur le site web du média brésilien Nexo.

Depuis une semaine, c’est justement une question budgétaire qui a cristallisé les tensions. Le Congrès s’apprêtait à voter une enveloppe de 30 milliards de real (soit environ 6 milliards d’euros) pour le Parlement mais le président a utilisé son veto. Isolé, le chef de l’Etat a alors mobilisé ses partisans pour faire plier les députés. Un nouvel accord doit être discuté, prévoyant le partage de l’enveloppe entre l’exécutif et le législatif.

A ce jour, Bolsonaro dément avoir réalisé la vidéo, mais il ne nie pas l’avoir diffusée. Et il n’a pas estimé nécessaire de s’exprimer au sujet d’un appel à manifester contre les pouvoirs législatif et judiciaire.

Alice Burgat

Auteur·trice