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Diego Maradona, l’être éternel

L’annonce de la disparition de l’ancien international argentin mercredi midi a suscité une immense émotion dans le monde entier. Génie du football, Diego Maradona s’est éteint prématurément à 60 ans laissant derrière lui une foule médusée par son pied gauche, et l’image d’un gamin parti de rien, qui aima la vie d’un amour déraisonnable.

Le football est un sport collectif mais parfois, un seul joueur peut faire la différence. Diego Armando Maradona, l’enfant roi, fait partie de ce cercle restreint. L’artiste qui a régné sur la planète football. La « Pelucita » de 1m65 qui a fait tourner ses adversaires en bourrique et s’amusait comme un enfant sur la pelouse. Ce héros qui ne commença la vie avec rien, et qui la finira dans le cœur de tous.

Il y a Diego et Maradona. Le Ying et le Yang. L’homme qui dévora la vie à pleines dents et le footballeur qui dévora ses adversaires. Joueur légendaire pour sa touche de balle et iconique de tous les excès, l’annonce de sa mort a brisé des cœurs. Pour toutes générations confondues, Diego Maradona restera le Dieu du football.  Son aura dépasse même les frontières du football : dans n’importe quel domaine, être acclamé « Marado, Marado » par la foule est signe de respect et d’admiration. Avec lui, c’est l’image d’un football pur qui s’est éteint : un football sans retenue et extravagant, un football pour le peuple.

Sur les terrains vagues du bidonville de Fiorito dans lequel il grandit, Diego forge rapidement sa technique de gaucher. Sa maîtrise du ballon le fera devenir le roi de la discipline et bien plus encore. Diego Armando Maradona est l’incarnation de la revanche de la classe populaire, celui qui a sorti sa famille de la misère. Celui qui a sauvé l’Argentine du chaos.

Fédérateur d’une Argentine brisée 

Il est compliqué, voire impossible de décrire ce que représente le football en Argentine. Vous aurez beau visiter un stade, suivre le championnat ou regarder l’Albiceste, la route serait encore longue. Dans un pays où Buenos Aires, Rosario et Cordoba sont considérés comme des lieux de pèlerinage pour les amoureux du football, Maradona en est devenu le héros.

Pancho Espinoza fait partie des privilégiés qui ont vu jouer Maradona. Fan incontestable de l’Independiente, l’homme décide pourtant d’aller voir un match opposant l’Argentinos Juniors à Talleres de Cordoba le 20 octobre 1976. Un match qui n’avait rien d’attrayant, mais dont tout le monde avait entendu parler. C’était la première apparition professionnelle du prodige de 15 ans. Malgré son jeune âge, il devient l’espoir de toute une nation et attire les médias qui le présentent comme un phénomène. À seulement douze ans, Maradona avait déclaré à la télévision : « j’ai deux rêves, disputer une coupe du monde, et la remporter avec l’Argentine. »

« Personne n’a aimé ce pays comme Diego l’a aimé. Personne ne nous a rendus plus fiers que lui » s’émeut Pedro, un Argentin de 26 ans. Une fierté dont les argentins avaient besoin dans un pays mentionné surtout pour ses dérives. L’Argentine des années 80 est marquée par une rupture sociale. Le pays enchaîne les crises politiques, l’oppression et la terreur font loi. Sous le général Rafael Videla, on ne compte plus les tortures, les disparus et les morts. Le pays est plus divisé que jamais et au bord du gouffre. À cela s’ajoute la guerre des Malouines qui octroie l’ile des Falkland aux Anglais. Une humiliation pour les Argentins, dont bon nombre ont péri au combat.

C’est dans ce contexte que se déroule la coupe du monde de 1986 au Mexique. Plus que jamais, le sport fait résonner l’histoire. En quart de finale face à son ennemi diplomatique :  l’Angleterre, Diego Maradona rend symboliquement justice en offrant la victoire à son peuple. L’un des plus beaux buts de l’histoire du football est marqué ce jour-là. Sous un soleil de plomb, El Pibe d’oro part du milieu de terrain, élimine 6 adversaires dont le gardien et glisse le ballon au fond du filet. « C’est le seul moment de ma carrière où j’ai eu envie de célébrer le but d’un adversaire » déclarait l’ancien avant-centre Anglais Gary Lineker. Ce chef d’œuvre suit le but le plus controversé de l’histoire, marqué de « la mano de Dios ».

Ce match c’est un peu la métaphore de la vie de Diego. Son histoire peut se résumer avec le jour et la nuit, le bien et le mal, le but du siècle et le plus controversé. Mais lors de cet été 1986, Maradona devient l’ambassadeur des Argentins dans le monde entier. Quand il soulève la coupe du monde sur le balcon de la Casa Rosada, ce sont des milliers d’Argentins qui l’acclament sur l’historique Plaza de Mayo. La célébration populaire dure plusieurs jours. « Il nous a donné de la joie par ses dribbles et ses buts, peu importe les temps difficiles qu’on vivait. Il nous a réunis lorsqu’on était plus divisés que jamais » raconte Octavio, supporter Argentin.

L’histoire d’amour napolitaine

Il est impossible de parler de Maradona sans parler de Naples. Cette ville qui a mis l’un de ses cheveux sous verre dans la vitrine d’un bar, comme une relique. Cette ville où les prénoms Diego, Armando ou Salvatore (le sauveur) sont nombreux où les murs sont encore ornés d’affiches à sa gloire plus de 30 ans après.

En 1984, Diego Maradona arrive à Naples après deux saisons remarquées au FC Barcelone. En pleine mer, sur les bords du Vésuve, il signe un contrat de 13 millions de lires dans une équipe alors considérée comme outsider. Maradona avait besoin de Naples et surtout, Naples avait besoin de lui. Dans un sud qui obéit à ses propres règles, Maradona retrouve le Diego qu’il a laissé à Buenos Aires. Dans la marmite du San Paolo, qui deviendra bientôt le Stade Diego Armando Maradona, un amour est né. L’Argentin devient napolitain, le peuple l’adopte.

« Il y avait une véritable osmose entre la culture napolitaine et Maradona » explique le sociologue du football Christian Bromberger. Il raconte que dans une ville marquée par des traditions religieuses et superstitieuses, Maradona s’était facilement greffé à la culture. « Maradona était riche mais avait conservé une culture de pauvre et c’est ce qui plaisait à Naples. Il avait ce côté extrêmement proche des gens. Aujourd’hui les joueurs sont des stars, alors que Diego lui était accessible. » Quand il reçoit le titre symbolique de footballeur du siècle, décerné par un vote populaire initié par la FIFA, Maradona n’hésite pas une seconde. Il dédie ce titre au peuple sans qui « nous ne serions rien. »

Communiquant une ardeur collective hors du commun, Diego satisfait les attentes d’une région moquée par le nord de l’Italie, plus riche et prisée. Les deux Scudetto de 1987 et 1990 (les premiers et seuls du club) représentent la revanche des « Terroni ». Maradona en est l’architecte. Il permet aussi de remporter une coupe d’Italie (1987), la coupe de l’UEFA (1989) et la super coupe d’Italie (1990). En offrant des victoires face à la Juventus de Platini ou Milan de Van Basten, El Pibe de Oro devient le sauveur d’une ville déchue. « Pendant la coupe du monde de 1990, les Napolitains supportaient l’Argentine ! Pour vous dire, ici nous avons San Gennaro qui nous protège, mais aussi San Gernnarmando » s’amuse Ciro, supporter du Napoli.

« A Diego le perdono todo »

Pourtant à Naples, c’est le début de la fin. Diego Maradona découvre le monde de la nuit napolitaine, les fréquentations interdites. Des frasques nocturnes qualifiées de « lato oscuro » de Maradona, un côté obscur qui flirt avec ses démons. S’il s’en défend, il doit fuir le pays après avoir été testé positif à la cocaïne. Commence alors un long chemin vers la désaccoutumance où les contrôles anti-dopage deviennent son pire cauchemar.

Au fil des années, les controverses se multiplient autour du joueur. Mais paradoxalement, l’amour et l’admiration également. Son engagement politique de gauche et son franc-parler lui donnent l’image d’un homme fort de conviction qui n’a peur de rien, et surtout de personne. « Qu’on aime où qu’on ne l’aime pas, c’est quelqu’un de spécial qui a toujours affiché haut et fort ses convictions, peu importe les critiques » raconte le chroniqueur Sports de France 24, Cedric Ferreira. Petit à petit, ses addictions prendront le pas sur son art, mais sans jamais lui retirer son aura. En Argentine, “a Diego le perdono todo » ( « je pardonne tout à Diego ») est une expression devenue célèbre.

Il est difficile de se savoir le meilleur, d’être devenu le symbole de tout un peuple. Si beaucoup ont tendance à l’oublier, Diego était un homme avant tout, fait de qualités et de faiblesses. Un simple être humain capable de faire des erreurs. « Si Jesus s’est trompé, pourquoi lui ne pourrait pas ? » chantait d’ailleurs la référence argentine Rodrigo. A la fin de sa carrière, son rival brésilien Pelé parlait d’un prodige de 17 ans, très doué, mais dont la médiatisation précoce ne lui ferait peut-être pas tenir le coup. Il avait vu juste.

En 2000 puis 2004, le cœur de Diego lâche, vulnérable et fatigué par les excès. La planète football retient alors son souffle mais Diego est immortel, et Diego ressuscite. Début novembre, l’ex-champion du monde subit une intervention chirurgicale pour un hématome au crâne. L’inquiétude planait autour de la santé de Maradona, mais rien ne semblait pouvoir arriver au « miracle de Dieu ». Jusqu’à ce 25 novembre 2020. À midi (heure argentine), les aficionados du ballon rond sont devenus orphelins. Des hommages sont rendus depuis dans le monde entier. Pour beaucoup, il sera impossible de combler son absence.

L’image de la « Pelusa » de Villa Fiorito, qui n’a jamais trahi ceux qui lui ressemble, restera éternelle. Celle d’un joueur ovationné au Santiago Bernabeu avec le maillot du FC Barcelone. La mémoire d’un joueur emblématique pour son aisance balle au pied, ses dribbles mémorables et son amour pour la vie. Pedro raconte une phrase d’un professeur qui l’a marqué « Vous avez des nouveaux téléphones, des supers télés et des réseaux sociaux pour afficher vos vies. Mais moi, j’ai vu Maradona jouer. » Ceux qui ont eu la chance de le connaître continueront de témoigner de sa grandeur. L’héritage Maradona est éternel.

Auteur·trice
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Diana Melhem

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