LE 13 INFORMÉ

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[Interview] Philippe Buisson, « L’oeil de Province » du président

Philippe Buisson, maire de Libourne et conseiller médias du Président

Philippe Buisson est une sorte de Spin Doctor, une de ces éminences grises qui façonnent l’image des politiques. Depuis 2014, sur son temps libre et en tant que bénévole, il est chargé de mission au pôle communication de l’Elysée, avec pour mission particulière de travailler l’image du président. Ce personnage singulier est à la fois devant, et derrière la caméra des journalistes. Devant les caméras en tant qu’homme politique (puisqu’il est maire de Libourne depuis 2011 et aussi Président de la Communauté d’Agglomération du Libournais) – quoiqu’il reste très discret dans les médias – et derrière la caméra lorsqu’il est dans son rôle de conseiller. Il revient avec nous sur les raisons de l’impopularité record d’un Président plus anti-héros que super-héros, et sur ce que signifie être une éminence grise du chef de l’Etat.


Vous avez plutôt un parcours de politique… qu’est-ce qui vous a amené à vous spécialiser en communication ?

C’est vrai que je suis d’abord un homme politique avant d’être un communicant. Mais je ne suis pas non plus un néophyte, puisque j’ai dirigé une agence de communication pendant deux ans. Et j’ai aussi été secrétaire du Parti Socialiste chargé de la communication. J’en suis arrivé à conseiller François Hollande par le truchement de journalistes parisiens, qui m’ont mentionné à un moment où il y avait besoin d’un nouveau regard dans l’équipe de communication de l’Elysée. Je ne fais donc pas vraiment partie des écuries de Hollande, disons… « d’origine contrôlée » (rire), j’avais soutenu Aubry dans la primaire de 2012 à l’époque.

Je suis d’abord un homme politique avant d’être un communicant. »

Un journaliste de Sud-Ouest vous a baptisé « l’oeil de Province du Président« … Qu’en pensez-vous ?

Oui, je suis son « oeil de province », mais je ne suis pas le seul. Ça fait partie de sa manière de travailler, avoir des vigies sur tout le territoire. En général il s’agit plutôt de faire des propositions, même si je réponds aux commandes bien sûr. Au quotidien je travaille en lien étroit avec le responsable du pôle communication de l’Elysée, Gaspard Gantzer, mais je vois également le Président très régulièrement – c’est le cas demain d’ailleurs. Sinon on fonctionne essentiellement par notes. Chaque semaine je lui envoie des notes sur des sujets précis. Elles sont parfois… assez singulières. Par exemple je l’ai conseillé une fois sur les problématiques des viticulteurs, parce que c’est un cas que je connais bien dans le libournais. Et ensuite il me fait des retours. François Hollande c’est quelqu’un qui lit tout, et qui annote tout. Il est très attentif.

Tout le monde s’accorde pour dire que son mandat est un échec de communication. Il apparaît déconnecté des Français, et souvent ridicule à la fois. Dernièrement même ses proches et les militants PS sont confus. Comment l’expliquer ?

Dès le début Hollande s’est heurté à un problème : il n’était pas assez présidentiel. Il apparaissait aussi comme un Président qui ne travaille pas, alors que c’est sûrement celui qui travaille le plus – et je pense d’ailleurs que l’histoire lui rendra justice à ce sujet. En tout cas, en ce qui me concerne je fais partie de ceux qui pensent qu’il ne s’est pas assez exprimé.

A mon avis, il ne faut pas aller jusqu’à verrouiller la parole des politiques, ça ne ferait qu’amplifier le clivage entre les Français et les hommes politiques. »

Pourtant c’est justement quelque chose qui lui a été très durement reproché, de trop s’exprimer, en particulier depuis la sortie du livre « Un Président ne devrait pas dire ça ». Le rôle de la communication, de plus en plus, n’est-elle pas justement de verrouiller au maximum la parole politique ?

Il a voulu incarner la parole du Président et s’est donc exprimé parfois directement. Pour moi, il n’a pas à parler sur tout, il n’avait pas à entamer le dialogue avec Léonarda par exemple. Il ne doit pas non plus répondre à la volée à des journalistes. Mais… c’est lui : il aime les journalistes, il va vers eux, il leur parle. Ma position sur la question c’est qu’il devrait déléguer plus, au travers de porte-paroles. Parce que la vraie révolution, c’est au niveau du binôme politiques/journalistes qui ne fonctionne plus du tout comme avant. On ne peut pas travailler de la même manière quand des tweets sont considérés comme de l’information. Et les chaînes d’info en continu doivent être alimentées constamment, ce que ne peut pas faire le Président personnellement. En attendant, cette transparence qu’on lui reproche fait partie de son contrat du « président normal ». Et à mon avis il ne faut pas aller jusqu’à verrouiller la parole des politiques, ça ne ferait qu’amplifier le clivage entre les français et les hommes politiques.


Déclaration du président de la République au… par elysee

François Hollande considère qu’il est lui-même son meilleur communicant. »

Est-ce facile de travailler sur son image avec le Président ?

François Hollande reçoit très bien les réflexions, il est à l’écoute. Mais effectivement, il considère en fait qu’il est lui-même son meilleur communicant, à tort ou à raison… Ce qui nous a fait du mal, c’est la date de sortie du livre qui est tombée le même jour que l’interview dans l’Obs où François Hollande disait « Je suis prêt ». Après, tout peut être réversible, on critique son bilan communicationnel mais d’un autre côté, il excelle en grande conférence de presse par exemple. Les journalistes arrivent tous en se disant « Ok, cette fois je vais le coincer », et ils ressortent toujours en se disant « Qu’est-ce qu’il est bon en com‘ »… En fait c’est son style qui n’est pas compris. Il préfère le texte à la mise en scène, pas comme Nicolas Sarkozy par exemple. Et il ne comprend pas que ça puisse générer des commentaires. Lors de son déplacement à l’île de Sein par exemple : on lui a beaucoup reproché de n’avoir pas maîtrisé son image, avec la question d’avoir un parapluie ou pas. Mais lui se dit « Je suis en face d’anciens combattants, je parle à la tribune, pluie ou pas pluie, comme tout le monde. » Et c’est ça qui est injuste : vous mettez Obama dans le même scénario tout le monde aurait trouvé ça fantastique. C’est peut-être là que le physique du Président lui joue des tours. Le Hollande-bashing, c’est une machine.

C’est ça qui est injuste : vous mettez Obama dans le même scénario, tout le monde aurait trouvé ça fantastique. »

Est-ce que ce n’est pas un peu frustrant de faire la communication du président le plus impopulaire de la Ve république ? Quelque chose qui revient souvent dans les témoignages des conseillers, c’est le sentiment de responsabilité dans la réussite ou l’échec de leur candidat.

Pas du tout, pour moi c’est une fierté. Bon, je ne vous cache pas qu’on est quand même assez abattus, la situation est difficile. Mais il ne nous reste qu’à nous mettre au travail. Dans les six semaines à venir il nous faut d’abord défendre un bilan : la croissance remonte, le chômage baisse légèrement. Maintenant il y a un problème avec son image, c’est indéniable, mais pas avec son bilan. Donc ensuite, il nous faut créer les conditions pour purger l’incompréhension entre le Président et les Français.

Il nous faut créer les conditions pour purger l’incompréhension entre le Président et les Français. »

Si François Hollande était un super héros, qui serait-il ?

Ce serait Spiderman je crois (rire), il passe pour un benêt dans son monde et il se fait basher par les médias, alors qu’il combat les méchants et sauve des gens.

Propos recueillis par Mathieu Péquignot

@mathieupeq (twitter)

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