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La non-médiatisation de la primaire de gauche : récit d’un échec annoncé

La primaire de la gauche se tiendra les 22 et 29 janvier prochain. Car oui, elle aura lieu. En principe. Entre une médiatisation quasi inexistante et des candidats anonymes, aura-t-elle un impact sur la présidentielle?

« J’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle, et au renouvellement de mon mandat ». Ces mots, aucun président en exercice ne les a jamais prononcés dans l’histoire de la Ve République française. François Hollande a pris tout le monde de court ce 1er décembre 2016.

Vidéo intégrale de la déclaration de François Hollande – BFM TV

Certains y verront une tentative de sauvetage de la primaire de la gauche. D’autres, à l’instar du journaliste Fabrice Lhomme, co-auteur du livre Un président ne devrait pas dire ça…, penseront que le président de la République ne voulait pas risquer d’arriver en troisième ou quatrième position à la primaire. En rebattant les cartes de cette élection, François Hollande l’a finalement mise sur le devant de la scène. Car pour l’instant, la seule question qui se posait était la suivante : la primaire de la gauche, mythe urbain ou événement déterminant dans la course à la présidentielle ? Difficile à dire, étant donné la non-médiatisation dont elle souffrait avant l’annonce du président. D’après Stéphane Wahnich, professeur de communication politique à l’Université Paris-Est-Créteil, « le problème c’est qu’on ne savait pas si elle allait vraiment avoir lieu ».

Effectivement, en janvier dernier, pour le premier secrétaire du Pari Socialiste (PS), Jean-Christophe Cambadélis, la tenue d’une primaire des gauches et de l’écologie n’était « pas impossible », mais « peu probable». Pourtant, d’après un sondage Harris Interactive pour l’hebdomadaire Marianne paru le 15 janvier, 85% des sympathisants de gauche en réclamaient une.

Primaire à gauche : Cambadélis ou l’art du changement de pied LE SCAN POLITIQUE/VIDÉOS – Le jugement du patron du PS sur l’organisation d’un scrutin interne à la gauche n’a cessé d’évoluer en fonction du contexte politique. Jusqu’à proposer le scénario surprise d’une élection aux contours restreints, à laquelle François Hollande pourrait participer.

Finalement, le 17 juin, le premier secrétaire du PS a annoncé dans une interview accordée à Libération la mise en place d’une primaire ouverte aux acteurs de La Belle alliance populaire. Attendez, on rembobine. La Belle alliance populaire, une nouvelle banque ? Une organisation à but non lucratif ? Non, il s’agit d’un mouvement lancé le 13 avril par le PS pour rassembler toute la gauche, afin d’assurer à son candidat un certain soutien lors de la présidentielle.

Toute la gauche ? Vraiment ? « C’est une primaire du Parti Socialiste principalement », poursuit Stéphane Wahnich. En effet, ne seront pas présents les 22 et 29 janvier les partis Lutte Ouvrière (représenté par Nathalie Arthaud), EELV (Yannick Jadot), En marche ! (Emmanuel Macron), La France insoumise (Jean-Luc Mélenchon), le Parti Radical de Gauche (Sylvia Pinel) et le Nouveau Parti anticapitaliste (Philippe Poutou). Sur les huit candidats déclarés, quatre se présentent en leur qualité de membre du PS. Un virage risqué, d’après Stéphane Wahnich : « Je crains que le débat ne soit moins riche et qu’il rassemble moins la gauche ».

(Pour profiter de l’infographie en plein écran, cliquez ici

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© Floriane Valdayron

Si la primaire de la droite et du centre a connu un succès indéniable avec 4 millions de votants, celle tenue par la gauche en 2011 en avait enregistré 3 millions. La primaire de La Belle alliance populaire peut-elle espérer voir autant de citoyens se manifester ? Quoiqu’il en soit, elle s’inspire énormément de la précédente, tant sur les modalités que sur le principe même : l’ouverture à toute la gauche. Pourtant, sur le fond, elle diffère. « La dernière primaire de la gauche avait bénéficié d’une hyper médiatisation, ce qui a d’ailleurs été profitable pour François Hollande », selon Stéphane Wahnich.

Cette année, à qui profite la primaire? Elle qui n’a pas pour vocation de présenter un candidat solide à la présidentielle – le contraire des Républicains, qui voient déjà François Fillon à la tête de l’Elysée (voir notre vidéo sur son fan-club).

« Ils ont tous des chances assez minces d’aller au second tour », explique Pierre-Emmanuel Guigo, professeur de marketing politique à l’UPEC. Et ce n’est même pas leur but. Non, le premier (et le seul intérêt) de cette élection quasi-interne, c’est simplement de « se faire connaître, de se donner une légitimité ». C’est une première notoriété. « D’ailleurs, c’est ce qui s’est passé avec Manuel Valls et Arnaud Montebourg en 2011. Ils n’avaient aucun mandat marquant. Mais quand Montebourg a réuni 17 % des votants, ça lui a ouvert une porte vers le gouvernement de François Hollande » (si vous ne vous souvenez pas de tout, cliquez ici). On comprend mieux pourquoi Gérard Filoche, plus connu pour ses ouvrages sur Mai 68 que pour ses mandats électoraux (pour la bonne raison qu’il n’en a aucun), tente lui aussi sa chance.

Bref, une primaire qui a des airs d’entre-soi, et qui ferait ressortir qui ? Le plus connu ? Le plus légitime ?

« Tout dépend de ce qui va se passer dans les prochaines semaines », analyse Pierre-Emmanuel Guigo. « La candidature de Manuel Valls va forcément rebattre les cartes ». Avec un effet immédiat : les médias risqueraient de porter plus d’attention à la primaire, vu la « renommée » de ce candidat, ou vis-à-vis de deux anciens ministres frondeurs. Sans compter que la ministre de la Santé Marisol Touraine, ou encore la ministre de l’Education Nationale Najat Vallaud-Belkacem ne s’interdisent pas de candidater aussi. Plus de visibilité, mais pas plus de communication politique pour autant. A l’exception peut-être d’Arnaud Montebourg (voir notre article), « les campagnes des candidats ne sont pas beaucoup allées sur le terrain, elles sont peu visibles. Et quand elles se déplacent, elles sont très déstructurées. Sans compter que peu d’entre eux ont des soutiens de poids ».

Des soutiens, voilà ce qui ne manque pas à Christiane Taubira, l’ancienne ministre de la Justice de François Hollande jusqu’en 2016. Depuis une dizaine de jours, une pétition citoyenne lancée sur Change.org réclame à corps et à cris sa candidature à la fameuse primaire. Et elle a déjà dépassé la barre des 50000 signatures. L’ex-ministre n’a pourtant jamais annoncé sa candidature mais appelait depuis déjà plusieurs mois à l’unité de la gauche, de toutes les gauches. Alors, Christiane Taubira en chevalier rassembleur de la gauche, et choisi par le peuple, ce serait la solution ?

 

Pas si sûr, répond Pierre-Emmanuel Guigo. « Sa candidature pourrait en fait favoriser Manuel Valls » – comme elle aurait pu favoriser celle de François Hollande. Et ce pour une raison très simple : entre des frondeurs , des écologistes, et plus globalement avec sept candidatures souhaitant éviter le scénario Hollande, la gauche de la gauche risque de se retrouver divisée au moment du choix. « Il y aurait trop de pluralité, si Taubira se présentait aussi. Bien qu’elle soit très connue, il serait plus facile pour Valls de rassembler les voix s’ils se posent comme une alternative à une gauche trop héroïque ».

 
Finalement, aucun scénario ne paraît pouvoir sauver cette campagne. La Belle Alliance Populaire voulue pour surmonter les clivages entre les gauches n’aura pas fait long feu – et le vote de janvier risque d’être tout sauf significatif. A moins de deux mois du premier tour, ce n’est pas un bon signe pour la présidentielle de 2017. A trop vouloir faire barrage à François Hollande, les candidats à la primaire socialiste semblent presque en oublier le but : gagner l’Elysée en 2017. Au risque de le voir conquis par des super-politics, bien conscients, eux, du pouvoir de l’image publique.

Vous vous demandez ce qu’auraient pu donner les conversations des candidats entre eux ? Nous aussi :

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François de Rugy et Jean-Luc Bennahmias / Gérard Filoche et Marie-Noëlle Lienemann

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Christiane Taubira et Benoît Hamon / Pierre Larrouturou et Jean-Christophe Cambadélis

© Léa Soula

Léa Soula et Floriane Valdayron (@FlorianeVldrn)

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