LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

Un roman pour la route

Dans son roman Le syndrome du Caliméro dans la société postmoderne, Violaine Ripoll s’empare du fantasme autarcique… et le pulvérise. Elle fait de la société un poing écrasant ceux qui osent s’émanciper. A travers 4 épisodes : 2009, 2024, 2049 et 2064, le lecteur assiste à la chute interminable d’un homme et de sa micro-communauté. Ce qu’on pense du livre.

Sortir de sa coquille

3Qui ne connait pas Caliméro ? Ce poussin noir de dessin animé italien, illustration malchanceuse du vilain petit caneton, a cette fameuse formule : « c’est trop injuste ! » Il la sert à toutes les sauces. C’est ce qui le rend si savoureux, ce petit canard au chapeau en coquille d’œuf. Vous riez jaune ? Pourtant, c’est une vraie maladie psychiatrique, un cas d’école aux symptômes connus : attente silencieuse d’une main secourable et acceptation de son propre malheur. Le patient souffre du syndrome du Caliméro.

Mais pas une seule fois, dans le roman d’anticipation de Violaine Ripoll, il n’est question de poussin noir ni de troubles psychiatriques. On y suit un héros simple dans ses migrations et ses fuites ordinaires. Rien n’est à son goût. Parisien amoureux au job inutile et surpayé, il va petit à petit s’aliéner de tout ce qui fait son confort. Sa chute est volontaire, son suicide est lent, et douce-amère est son aventure.

« Je voulais voir la mer. Je l’ai vue, et j’étais parqué pour ça, d’avoir voulu respirer son souffle, sa beauté. La mer ? Faut payer mon gars. Ça coûte de n’avoir pas bien choisi. »

On ne fait pas d’omelette… 

La communauté qu’il va former est un effet secondaire de son mal-être plus qu’un choix idéologique. « Un auvent, un cabanon et une table en bois » dans un premviolaine-ripollier temps. Puis juste un Mobil-Home en bord de mer. On peut déjà deviner la suite : un simple lit dans une maison de retraite aux codes orwelliens et l’attente de la mort.

Mais avant de mourir, il faut vivre. Et pour vivre, fuir. L’homme veut bien faire quelques concessions à cette modernité envahissante : « photovoltaïque de dernière génération sur le toit, éolienne en cas de gris de vent. » La mer comme horizon (« loin de tout mais on y entendait l’océan »). Et c’est tout.

« Notre installation avait belle allure, un accent d’ouest américain, celui du désert et du vent. »

Le narrateur, que l’auteur se garde bien d’appeler Caliméro, ressemble à tout le monde. Il vivote. Comment ne pas sentir qu’il est à « ça » du bonheur ? Mais ça c’est encore trop, et tout se casse dans son sillage. La société mondialisée, incarnée par la très libérale compagnie « Seacity », rappelle par ses sirènes qu’il est toujours possible de faire fortune, à condition de le vouloir.

… sans casser des œufs

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Mais c’est un homme qui refuse la supercherie. Il traîne sa coquille sur le front de mer, peu à peu envahi de villas et d’immeubles. Il se bat bec et ongles pour échapper à l’insatiable appétit de Seacity, lancée à l’assaut du littoral. La finance couve sous les plages du bassin d’Arcachon. Dans ce scénario, aucun espoir n’est laissé aux vilains petits canards. Violaine Ripoll leur donne pourtant une voix, même discordante, et permet d’entrevoir un bout de monde, le leur, mais hors du monde.

Damien Desbordes / @DesbordesDamien
Crédits photos : La Presse, Zorah Taormina, Sulliver
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