LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

Les Français et l’art de la parole

Dire merci en descendant du bus. Dire bonjour a un inconnu dans la rue pour l’aborder. Dire non alors qu’on veut dire oui. Des réflexes auxquels nous ne faisons pas attention, mais qui nous permettent d‘être intégré dans notre société. Des petites phrases que les étrangers ne comprennent pas toujours…

Parler, tout un art en France. Crédit photo: Pixabay

A chaque pays ses tics… et ses tocs. Les habitués des avions vous le diront ! En Chine on s’incline pour dire bonjour, à New-York on laisse un pourboire au serveur (si si, c’est « obligatoire », entre 15 et 20% du montant de l’addition). En France, on dit bonjour au chauffeur de bus et bien sûr, on lui dit au revoir. Ses petites manières du quotidien sont un véritable dépaysement pour quiconque pose sa valise dans un pays étranger. Et s’il suffit de lire le Routard pour comprendre nombre d’entre elles, certaines sont beaucoup moins évidentes. Une simple semaine de vacances dans le pays ne suffira pas à décoder toutes les subtilités du savoir-vivre de la ville où vous êtes. Une immersion totale s’impose.

C’est ce que les journalistes Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau expliquent dans leur ouvrage écrit à quatre mains, Ainsi parlent les Français. En couple à la ville et au travail, ces deux Québécois ont vécu plusieurs années dans la capitale française pour s’atteler au décryptage de l’art du parler français.

Les Français partis au Québec, ils en pensent quoi ?

Dans le livre, il est question de la vision qu’ont les Québécois sur notre société. ce qui a le plus frappé les auteurs pendant leur séjour, ce ne sont pas tant ces histoires de saluer tout le monde ou la fâcheuse habitude des Français de râler. Non, c’est cette manie que nous avons de dire « non » automatiquement, alors même que l’on voulait dire oui. Tout un chapitre est consacré à la distinction des différentes nuances de mot de trois lettres. Il est aussi question de la difficulté des Français à avouer qu’ils se sont trompé, et bien d’autres choses encore…

Et les Français alors, ils sont d’accord avec tout ça ?

Dan est parti en 2016 faire son stage au Québec. Après trois mois passés à Saint Jean sur Richelieu , à cinquante kilomètres de Montréal, il a ramené dans ses valises quelques impressions sur les personnes qui l’ont accueilli.

« Les Québécois utilisent encore beaucoup de mots anciens, des mots en l’argot. Ils vont parler de « soulier » pour les chaussures, de « piasse » pour l’argent, qui vient de piastre (Au Canada, billet de un dollar). Pendant mon stage on me parlait de « mandat » pour les différentes missions que je devais effectuer. Après moi j’étais dans une zone plutôt agricole, alors la manière de s’exprimer était un peu différente, avec beaucoup d’insultes pour certains jeunes : ostie, calice, tabarnak.
En termes de différence, elle est plus culturelle. On dit bonjour au chauffeur de bus. Là-bas, les gens sont très respectueux, personne ne se pousse pour monter dans un bus, c’est en file indienne.»

Julie Barlow écrit aussi qu’elle a été très étonnée de la gêne éprouvée par les Français lorsqu’elle a abordé certains sujets de conversation tels que l’argent, la politique ou même le travail.  Dan lui, n’a pas eu l’occasion de remarquer l’aisance de nos voisins outre-Atlantique. pour ce genre de conversations dont parle la journaliste. « Il doit sûrement y avoir des sujets tabous… Avec mon maître de stage je parlais de tout. On a eu des discussions sur les complots concernant les chemtrails, des discussions lubriques… Avec lui je pense qu’on pouvait parler de tout. Je pense que ça dépend de la couche sociologique à laquelle tu appartiens, comme en France, certaines personnes n’ont pas vraiment de sujets tabous tandis que d’autres en ont. »

Les Américains de manière générale sont ultra friendly aux premiers abords et par la suite c'est très difficile d'entretenir une amitié réelle. Fabien

Fabien a vécu un an et demi au Canada. Il est passé par Québec, Toronto et Ottawa. Et pour lui, les remarques de Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau sont plutôt vraies. « Je suis assez d’accord avec les exemples de la salutation et de la différence de notion du mot « ami/friend », qui sont les plus connus. En fait la relation est complexe avec le Quebec qui en soit a déjà une relation complexe avec le Canada. On pense souvent en arrivant qu’il sont Français mais non ils sont Américains francophones. Le cas de l’amitié est un bon exemple car les Américains de manière générale sont ultra friendly aux premiers abords et par la suite c’est très difficile d’entretenir une amitié réelle. Des situations vécues par des amis à San Francisco ou Los Angeles. En revanche ils sont très attachés a leurs origines et à leur langue , il a un grand nombre de lois au Quebec qui imposent de parler Français par exemple.» 
Mais le jeune responsable web marketing nuance, « Oui  la différence est grande, mais c’est normal. On pourrait faire un paradoxe avec un londonien un sud américain et un australien c’est la même langue mais pas dans les même régions du monde avec des contextes sociaux-économiques différents.»

Quant à Fares, voilà sept ans qu’il s’est installé au Québec. Et ce qui l’a le plus marqué, ce n’est pas la façon d’aborder les gens en elle-même, mais l’utilisation du « Bonjour ». « Le « bonjour » québécois est plus heureux. Puis parfois il disent bon matin, assez souvent même. Le soir ils ne disent jamais bonsoir mais bonjour, même si c’est minuit.»

Et cette histoire de ne pas avouer ses erreurs ?

« C’est vrai ! », lâche spontanément Fares« Je dirais que les Québécois n’aiment pas se sentir « non professionnels » donc ils essayent toujours de s’améliorer pour paraître toujours professionnels. Reconnaître leurs erreurs fait partie du besoin de s’améliorer quotidiennement. »

Pour ce qui est des sujets tabous, Fares parle de ses amis canadiens anglophones : « Il faut noter qu’ils sont très différents. Les Canadiens n’ont pas de problème de dire combien ils gagnent. Je pense même qu’ils aiment en parler mais ils ne parlent pas beaucoup du travail. Une fois qu’ils quittent le boulot, ils évitent d’en parler. Sinon un sujet qui parait tabou ici est le sexe, ils ne sont pas aussi ouverts que les Français. D’ailleurs c’est rare de voir un couple qui s’embrasse en public. »

La conception que l’on a d’un pays serait-elle quand même due à notre expérience ? A vous de vous forger votre propre opinion avec ce livre tout en humour et un peu pimentée de mauvaise foi. Mais je suis sure, qu’au fil des pages, vous vous retrouverez, ou du moins vous reconnaîtrez ce pays, où parler est tout un art !

Justine Lamard

Auteur·trice