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« Les voitures ont la priorité sur les piétons » : à Marseille, la galère des poussettes

Dans cette rue du 5e, les trottoirs ne dépassent pas quarante centimètres de large. © Samuel Monod

Si le logement insalubre est au cœur des tensions depuis les effondrements de la rue d’Aubagne, l’aménagement de la rue suscite également l’agacement des riverains. Trottoirs étroits, incivilités… les parents avec des poussettes sont les premiers à en souffrir. Un syndicat a même été créé. 

«Tenez ! Regardez là. On ne peut plus passer.» Josiane rit jaune. Accompagnée par trois jeunes filles, elle promène Nolan, un nouveau-né aux grands yeux bleus, lové dans sa poussette. Justement, le petit véhicule roulant est bloqué sur le trottoir à cause d’une roue de voiture invasive. En soulevant légèrement, elle parvient à le faire passer par dessus. «C’est comme ça à chaque fois que je promène Nolan», déplore cette mère de famille.

Dans la rue Auguste Blanqui, «on fait toujours très attention». En tant que piéton, fréquenter cette artère du 5e arrondissement est loin d’être facile. Si les trottoirs ont été conçus pour les bipèdes, à Marseille, il sont largement investis par les deux ou quatre roues.

Souvent manifesté en silence, ou par de simples soupirs – voire des jurons – le ras-le-bol de de l’aménagement des rues a pris une autre dimension. Fondé il y a trois mois, le «Syndicat des poussettes enragées de Marseille» est symptomatique de cette colère. Josiane est la chargée de communication. Il regroupe une dizaine de membres, dont la plupart sont des jeunes parents. Un nom plutôt cocasse pour un syndicat – qui n’en est pas un en réalité – et qui s’attaque à des problématiques occultées par les services d’urbanisme. «Si on avait choisi d’appeler ça un collectif, on aurait manqué de crédibilité aux yeux de la mairie. Syndicat, ça fait plus sérieux», explique Josiane.

Le passage est souvent bloqué par des voitures un peu trop invasives. © Samuel Monod

Vélos, motos… mais pas de bateaux

Samedi, malgré l’acte 4 du mouvement des gilets jaunes, les membres du syndicat se sont rassemblés pour une parade de Noël, sous l’Ombrière du Vieux-Port. «C’était l’occasion pour nous de se faire connaître auprès des services municipaux», indique Josiane. Elle traverse la rue avec sa poussette, et interpelle de nouveau en montrant le trottoir du doigt. «Regardez, c’est habituel… il n’y a pas de bateaux. Ce sont des renfoncements qui permettent aux personnes en fauteuil roulant ou avec une poussette de monter plus facilement sur le trottoir. Il n’y en a quasiment aucun dans ce quartier», regrette-elle. Des voitures à moitié sur la partie piétonne, des motos garées en plein milieu du passage, et pas de bateaux… Le constat est sans appel : la rue peut parfois être un véritable parcours du combattant pour ceux qui l’empruntent à pied.

Créé pour faire entendre la colère des pousseurs de poussettes, le Syndicat, présent sur les réseaux, vise plus large. «On milite pour une augmentation des places en crèche, pour la mise en place de repas bio à la cantine, pour l’amélioration des loisirs», énumère Josiane. L’organisation donne la part belle au confort des enfants car ses membres considèrent que la ville n’est pas adaptée pour eux. «Les rues, les infrastructures, les parcs, les motards et les chauffards qui roulent à 70 là où c’est limité à 50… c’est un endroit dangereux pour les minots !».

Marquage au sol à même le trottoir

Et si la rue de la cité phocéenne est dangereuse, les pouvoirs publics ne semblent pas vouloir – ou pouvoir – améliorer les choses. Au contraire. Perpendiculaire à la rue Horace Bertin, toujours dans le 5e arrondissement, il y a la rue de Bruys. Dans celle-ci, non seulement les trottoirs font à peine cinquante centimètres de large, mais le nouveau marquage au sol pour le stationnement empiète volontairement sur le trottoir. «Dans cette rue, la ville a carrément légalisé le fait de pouvoir se garer sur les espaces réservés aux piétons. Les voitures ont désormais la priorité sur nous», s’indigne Josiane.

Conséquence directe : rue de Bruys, les personnes en poussettes sont obligées de circuler sur la chaussée. La mère de famille interpelle une jeune femme qui promène son bébé. «Madame ! C’est pas facile de circuler ici hein ?» La jeune maman acquiesce, en rigolant timidement. «Joignez-vous à nous ! Le Syndicat des poussettes a besoin de soutien. Vous n’en avez pas marre de circuler dans ces conditions ?», lance Josiane.

Des logements insalubres et vacillants aux poussettes enragées, la rue continue de gronder à Marseille.

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Samuel MONOD

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