Les militants marseillais du logement jugent le bilan Macron

Travaux dans une rue du 6ème arrondissement de Marseille, 17 Février 2022. Cédits photo ; Alice Margaillan
L’association Abbé-Pierre publie en ce début d’année un constat sévère de la politique gouvernementale. Les acteurs locaux accusent le manque d’investissement dans les politiques sociales avec une aggravation de la tension de l’immobilier dans la région Marseillaise.
« Dramatique » c’est ainsi que Thierry Del Baldo qualifie l’état du logement à Marseille pendant le quinquennat Macron. President de la confédération générale du logement des Bouches-du-Rhône, (CGL 13), un syndicat de défense des locataires, il fustige les mesures prises par les gouvernements d’Edouard Philippe et Jean Castex. Parmi elles, la baisse de 5 euros des aides pour le logement (APL) et la baisse des budgets du logement social. Dans un territoire marqué par la pauvreté, les mesures antisociales du gouvernement auraient eu un effet dévastateur.
Plus d’un Marseillais sur 4 est pauvre selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et “la première conséquence de la pauvreté, c’est le mal-logement”, explique Florent Houdmon, directeur de l’antenne régionale de la Fondation Abbé Pierre et futur directeur du service habitat de la Ville de Marseille. Circonstance aggravante, la cité phocéenne a vu les prix de l’immobilier croître de 6% en 1 an selon le Baromètre LPI-Se Loger, contribuant ainsi à tendre encore plus le marché.
Dans ce contexte, les associations que nous avons contactées préconisent un doublement voire quadruplement des finances allouées au logement. Mais la Fondation Abbé-Pierre, association-référence en matière de logement, estime dans son rapport annuel (2022 sur 2021) que « depuis 1984, l’effort public pour le logement n’a jamais été aussi faible ». Dans sa chute, le budget des APL a entraîné le pouvoir locatif des ménages, et cette coupe de 15 milliards d’euros en 5 ans n’a pas été compensée par le logement social.
Le désinvestissement de l’Etat mis en cause
Au contraire, l’État n’a pas atteint son engagement de « choc de l’offre » avec une production de 120 000 logements neufs sur le territoire national. Sur ce point, le chef de l’Etat accuse la crise sanitaire. Résultat, à Marseille, la carence historique en logements sociaux n’a pas été résorbée. La confédération syndicale des familles (CSF) de Marseille, une association de défense des droits des familles, s’inquiète des délais d’attente d’accès au logement social : “La démarche peut prendre plusieurs années alors que l’attribution devrait être automatique.”
Surtout, les logements sont souvent inadaptés aux ressources des habitants. Dès 2019, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées chiffrait le manque de logements très sociaux prévus par la loi à environ 2500 par an dans les Bouches-du-Rhône. Autre souci, la dégradation du parc de logements sociaux, construits dans les années 1970. Pour les associations, la ponction par l’Etat de plus de 3 milliards d’euros dans le budget des bailleurs sociaux n’a pas aidé.“Si l’État ne subventionne plus, ce n’est plus du logement social!” dénonce la CGL.
Un parc immobilier privé dégradé dans certains quartiers
Les locataires pauvres se dirigent donc plus facilement vers des habitats précaires, notamment dans le parc privé. C’est le cas d’un jeune militaire en situation de handicap et de son fils, rapporté par la CSF, dont la demande de HLM tarde à aboutir. “La carte d’invalidité les rend prioritaires sur le logement social, et pourtant ils habitent dans un taudis du 6eme arrondissement. Les photographies sont inimaginables.”
Comme eux, 100 000 marseillais vivent dans un logement indigne. Huit d’entre eux ont péri dans l’effondrement de deux immeubles en 2018. » La rue d’Aubagne a mis un coup d’accélérateur aux politiques publiques contre le mal-logement grâce à la prise de conscience des acteurs. » se félicite le directeur de l’Agence nationale pour l’information sur le logement des Bouches-du-Rhône (ADIL 13), Thierry Moallic. Pour lui, la réhabilitation du parc de logements reste, avec la production de logements neufs, l’un des “deux enjeux principaux sur le logement à Marseille”.
Si l’Etat a soutenu les collectivités dans le Plan national de lutte contre l’habitat indigne et cosigné avec la ville, une Charte du relogement, c’est surtout à un niveau local que s’est jouée la gestion du logement. “La loi nationale est appliquée différemment dans la région marseillaise car la préfecture et la mairie n’ont pas fait leur travail” précise Kévin Vacher, ex-militant du collectif du 5 novembre, en lutte contre l’habitat insalubre à Marseille.
Des mesures encourageantes
Depuis 2018, plus de 2000 personnes ont été relogées, 2 procureurs et 3 juges ont été formés dans le logement, et des travaux d’office ont été engagés sur les logements indignes marseillais. Autre tournant, le confinement, qui a révélé le surpeuplement dans les habitations marseillaises des quartiers prioritaires de la ville, et contraint les pouvoirs publics à dégager en toute hâte des places d’hébergement d’urgence pour une partie des 14 000 personnes sans domicile fixe.
Ce point positif de l’action du gouvernement n’est pourtant pas à la hauteur de son plan “Logement d’abord” soutenu par la Fondation Abbé-Pierre. La CGL dénonce une “coquille vide”. Le plan devait être un “changement culturel important” et une “nouvelle philosophie d’intervention” pour pérenniser le logement d’urgence mais presque deux ans après, 2000 personnes sont toujours à l’hôtel.
La Fondation Abbé Pierre souligne tout de même les efforts gouvernementaux limités sur le chèque énergie, la rénovation thermique des logements avec “Ma prime rénov’”. Le financement de l’intermédiation locative a permis de débloquer de nouvelles places dans les pensions de famille mais alors que la ville et la métropole viennent de s’engager il est encore trop tôt pour en mesurer les effets. Pour l’ADIL, “Pour être efficace sur la rénovation énergétique, il faut simultanément des mesures incitatives et coercitives.”
Influencer la présidentielle
Dans son rapport annuel, la Fondation Abbé Pierre interpelle les candidats à l’élection présidentielle, avec des propositions chiffrées comme un minimum de 150 000 logements sociaux. “On veut peser dans la campagne”, espère Florent Houdmon. Christiane Taubira, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et le représentant de Valérie Pécresse se sont exprimés sur cette thématique lors d’un meeting à Avignon, alors que le logement était peu abordé avant la publication du rapport.
Trois candidats se sont fait remarquer par les associations marseillaises que nous avons contactées. Jean Luc Mélenchon, dont le programme logement est calqué sur celui de la fondation Abbé-Pierre, mais jugé trop peu axé sur le logement insalubre par Kévin Vacher. Anne Hidalgo (Parti socialiste) veut majorer les APL de 30%. Fabien Roussel (Parti communiste) souhaite que le logement représente au maximum 20% du budget des ménages, une des propositions fortes de la CGL. “On est en phase avec les positions de Fabien Roussel” a déclaré son président.
Localement, Kévin Vacher se présente au poste de député de la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône avec une communication très axée sur la lutte contre le logement insalubre. Il souhaite par exemple utiliser les institutions nationales comme la justice pour contrôler l’action publique locale sur le mal logement et l’habitat indigne. “Le pouvoir politique local ne peut pas être laissé seul à cause du clientélisme et du désintérêt pour ces questions.” affirme le jeune sociologue. Dans une lettre ouverte publiée sur son site de campagne, il interpelle les candidats à l’Elysée. Depuis deux semaines, il rédige une proposition de loi sur le logement avec 10 mesures clés qu’il entend proposer à l’Assemblée nationale.
Alice Margaillan