LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

Logements insalubres : le mal qui ronge Marseille

Le président Emmanuel Macron va bientôt revenir à Marseille pour faire le point sur son plan « Marseille en grand », lancé en 2021. L’un des volets du programme est dans toutes les têtes : le logement. 10 000 habitations réhabilités sont prévues d’ici 15 ans. Une mesure suffisante pour éradiquer ce fléau marseillais ? 

« Chaque mois on évacue des centaine de personnes. On n’est pas à l’abri d’un nouveau drame », lâche Isabelle Bordet, adjointe à la mairie des 1er et 7e arrondissements de Marseille en charge du quartier de Noailles, où 8 personnes ont trouvé la mort en 2018 dans l’effondrement de leurs immeubles. Aujourd’hui, 40 000 personnes vivraient à Marseille dans des logements insalubres. Chaque semaine, plusieurs arrêtés de périls sont signés : “6000 personnes ont été évacuées depuis le drame”, explique l’élue.

Le 2 septembre 2021, le président Macron a lancé le programme « Marseille en Grand ». Un vaste programme social et économique pour la ville. Le plan est ambitieux : 10 000 logements seront rénovés, dont 2800 logements démolis et reconstruits, 2300 rénovés, 1300 logements recyclés. Le tout, d’ici 15 ans. Pour mener à bien ces projets, une enveloppe de 760 millions d’euros est débloquée en mars 2022 entre la Ville, la Métropole, l’État et l’Agence Nationale de la Rénovation urbaine. “Cette année, on lance la première vague de rénovation sur 400 logements. On est en train de choisir les bailleurs et architectes qui vont travailler sur ces réhabilitations”, assure David Ytier, vice-président délégué au logement, à l’habitat, à la lutte contre l’habitat indigne à la métropole Aix-Marseille Provence. Tout d’abord, les rénovations concerneront une cinquantaine de logements, parmi les plus dégradés du centre-ville, inoccupés depuis la mise en place d’arrêtés de périls. “On profite qu’ils soient vides et appartiennent aux pouvoirs publics. Les chantiers démarreront début 2024”, ajoute l’élu.  La métropole espère pouvoir terminer cette première vague dans les 5 ou 6 prochaines années à venir.

Le centre-ville, objectif premier de la rénovation

Dans un premier temps, les pouvoirs publics se concentrent sur le centre-ville. “Le chiffre de 10 000 logements réhabilités concerne globalement le centre-ville de Marseille, explique David Ytier. Dans ce secteur, la rénovation lourde a été choisie. Pas de démolition prévue : “Ce sont des biens avec une valeur architecturale et historique. Il faut réhabiliter en essayant de garder les façades anciennes, développe-t-il. Six cabinets d’architecture ont été recrutés dans cet objectif. C’est un processus très long”, confirme Isabelle Bordet. Des décisions collégiales qui ne font pas l’unanimité. Pour la députée Renaissance de la 1re circonscription des Bouches-du-Rhône, Sabrina Agresti-Roubache, cette mesure n’est clairement pas suffisante : “La rénovation coûte plus cher que la reconstruction… Alors, reconstruisons ! Mais surtout la vraie question : où loge-t-on les personnes pendant la rénovation ?”, affirme-t-elle. Son slogan : « Après s’être effondrée, Marseille sera engloutie« , traduit le profond désaccord de la députée avec les mesures de rénovations dans le centre-ville. Cette zone historique de Marseille illustre la problématique du mal-logement. Pourtant, ce territoire n’est pas le seul secteur de la ville à nécessiter des travaux de réhabilitation. “Macron a annoncé la rénovation de 10 000 logements… Mais en réalité il en faudrait 40 000 en tout”, assure Kevin Vacher, militant au sein du collectif 5 novembre créé après les effondrements de la Rue d’Aubagne.

Une question épineuse et structurelle

En novembre dernier, la ville a organisé des « états généraux du logement ». Une réunion rassemblant l’ensemble des acteurs du secteur à Marseille et en France, avec un objectif clair : offrir un logement digne à tous les Marseillais.  En mars 2022, l’Agence nationale de la rénovation urbaine a également retenu 9 quartiers « d’intérêt national », dédiés à une rénovation globale. Ces quartiers se concentrent principalement dans le nord de la ville, entre les 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements.  En tout, Marseille compte près de 35 quartiers prioritaires, soit près de 235 000 habitants. Ces zones urbaines ont été choisies pour être « la cible prioritaire de la politique de la ville », considérées comme les territoires aux plus faibles revenus. L’insalubrité y est l’un des enjeux fondamentaux :On a deux géographies distinctes. D’un côté le centre-ville qui se paupérise, de l’autre les grands ensembles HLM très dégradés des années 1960 dans le nord”, explique Philippe Langevin, sociologue spécialiste des migrations à Marseille.

Une carte de Marseille qui met en avant les nombreux quartiers prioritaires. /Maureen Le Ru

« La ville doit reprendre les commandes »

Une ville à plusieurs vitesses, marquée par des disparités économiques et sociales énormes entre les quartiers. Au-delà du problème d’insalubrité, c’est surtout une pénurie de logements sociaux qui frappe la cité phocéenne : “Il y a une liste d’attente considérable. La demande ne cesse de croître”, assure Philippe Langevin. Les chiffres les plus récents sont sans appel : 40 000 personnes sont en attente d’un logement HLM. “L’an dernier, il n’y a eu que 623 permis de construire délivrés. On a besoin de 5 000 logements par an à Marseille”, complète Sabrina Agresti-Roubache.

73% des ménages à Marseille sont éligibles aux logement sociaux

source Insee-DGFIP-Cnaf-CCMSA

La députée va plus loin et propose également un projet de loi : donner à l’Etat la compétence de pouvoir reprendre la main sur les permis de construire dans les zones en crise. Pour la députée, cette crise du logement est clairement de l’ordre de la responsabilité de la mairie. Les pouvoirs publics, eux, soulignent un problème structurel bien plus ancien : « Marseille est une ville qui s’est faite de façon spontanée, anarchique. La Ville doit reprendre les commandes« , explique Mathilde Chaboche, adjointe au maire de Marseille, en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux. L’élue l’affirme, le « privé a grignoté tout l’espace« . Pour répondre à cette crise, la « Société Publique Locale d’Aménagement d’Intérêt National » est créée par la Métropole en 2020. L’objectif : acquérir les immeubles privés dégradés en vue de la rénovation. « Notre objectif, c’est d’abord d’aider les propriétaires à financer la réhabilitation de leurs bâtiments. S’ils ne veulent pas, c’est là qu’on lance les procédures de rachat« , confirme David Ytier. L’institution a également présenté « le programme local de l’habitat ». Censé durer de 2023 à 2028, ce plan audacieux prévoit la création de 4500 habitations par an à Marseille pendant 6 ans, dont 1500 logements sociaux. Il devrait être définitivement adopté à l’automne 2023.

Si le projet « Marseille en grand » revêt une ambition bien accueillie par les autorités locales, la concrétisation du projet reste très complexe à mettre en place. Bien qu’il n’ait aucun lien avec des problèmes d’insalubrité, le drame de la Rue de Tivoli du 9 avril dernier a ravivé le souvenir douloureux de l’effondrement des logements insalubres de la Rue d’Aubagne. Le mal ronge encore toute la ville et guette encore de trop nombreux quartiers.

Auteur·trice
Auteur·trice
Maureen Le Ru

1 thought on “Logements insalubres : le mal qui ronge Marseille

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *