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Athlétisme : des femmes pas assez femmes

Des athlètes de sexe féminin sont parfois privées de piste à cause d’un test de féminité réalisé lors des compétitions internationales. La Sud-Africaine Caster Semenya en a fait les frais.
Caster Semenya court au milieu de ses concurrentes du 800 mètres lors du championnat du monde d’athlétisme de 2011. © Wikipedia / André Zehetbauer

Trans, garçonnes, intersexuées… les termes ont varié au cours du temps pour qualifier les athlètes féminines avec un taux de testostérone supérieur à la « normale ».

En plus du test bucal anti-dopage, les sportives doivent passer un contrôle de féminité avant les compétitions internationales. Les médecins inspectent leurs organes génitaux. « Ils notent la taille de l’utérus de la sportive, de ses seins, la présence ou non de poils entre le nombril et le pubis », décrit Pierre-Jean Vazel, entraîneur du lanceur de marteau Quentin Bigot.

Officiellement, le test de féminité a été pratiqué à tous les Jeux Olympiques et aux championnats internationaux d’athlétisme entre 1966 à 1996. « Il est pourtant toujours d’actualité », assure le coach tricolore qui a aussi entraîné la sprinteuse Christine Arron.

Accusée de « porter un bermuda au lieu d’une culotte »

La Sud-Africaine Caster Semenya a été au cœur de récents débats. L’athlète a commencé à briller sur la piste grâce à ses exploits aux 800 et 1 500 mètres. Très vite, elle a été accusée d’être « trop musclée, trop poilue, d’avoir une voix trop grave et également de porter un bermuda au lieu d’une culotte », raconte Anaïs Bohuon dans une vidéo Youtube, auteure d’un livre sur le test de féminité et maître de conférence en STAPS (Sciences et Techniques Appliquées de la Pratique Sportive) à l’université Paris-Sud.

Sous les critiques, Caster Semenya multiplie les titres : double championne olympique (2012 et 2016), double championne du monde (2011 et 2017) du 800 mètres. Elle a été également porte-drapeau de son pays aux JO de Londres. En août 2010, elle est soumise au test de féminité. Verdict : l’athlète est intersexuée et atteinte d’hyperandrogénie, c’est-à-dire que son corps présente un taux élevé de testostérone. Pendant deux ans, la Fédération et le Tribunal arbitral du sport se sont affrontés sur un projet de législation.

Le nouveau règlement est entré en vigueur le 1er novembre 2018. Le taux de testostérone autorisé pour une femme en compétition internationale a été abaissé de 10 à 5 nmol/litre. Le taux moyen d’une femme est compris entre 0.1 et 2.8 et pour un homme au-delà de 10.5. Si l’athlète dépasse ce taux, elle est disqualifiée ou doit subir un traitement hormonal.

Contrairement au règlement de 2011, celui de 2018 ne concerne que les courses du 400 mètres au mile. Soit exactement les épreuves de prédilections de Caster Semenya.

Une question ancienne

Les contrôles de féminité ont toujours existés. Dans l’Antiquité, les athlètes concouraient nus. Au XXème siècle, cette question est arrivée dans les années 1920 avec la professionnalisation du sport féminin. Si les sportifs sont désormais vêtus, la féminité des athlètes est questionnée et leur pratique du sport avec.

Pierre-Jean Vazel explique : « Dès les années 1970, la science a été appelée à la rescousse pour vérifier si les athlètes féminines étaient suffisamment féminines ». Les médecins ont commencé par surveiller les caryotypes des athlètes. Le taux de testostérone est également contrôlé à partir de 2011 et le « cas » Caster Semenya. Pour l’entraîneur, entre deux et dix athlètes ont un test de féminité positif à chaque JO, « ce sont les chiffres des tests publiés par le CIO en 1990 », ajoute-t-il.

Discrimination entre athlètes occidentales et non-occidentales ?

Mais le taux de testostérone trop élevé peut être naturel, dû à une particularité génétique. Cela peut se confondre avec le dopage.

Si le test de féminité est pratiqué sur toutes les athlètes, les doutes peuvent venir d’une confusion entre performance, genre et origine selon Anaïs Bohuon :

L’identité sexuée est remise en cause lorsque les sportives non-occidentales excellent comme Caster Semenya. […] Les athlètes occidentales développent des stratégies d’hyper féminisation, elles se maquillent, portent des bijoux. Et cela atténue les soupçons.

« C’est comme être violée »

Et contrôler le sexe d’une athlète peut être humiliant. En 1985, l’espagnole Maria José Martinez Patiño oublie sa carte de féminité lors des championnats du monde universitaires. Elle repasse le test, il devient positif. Son mari demande le divorce, elle n’est plus autorisée à concourir sur les pistes. Elle perd donc son emploi. Cette descente aux enfers est vécue comme une injustice pour l’athlète :

Si je n’avais pas été une athlète, ma féminité n’aurait jamais été remise en question. Ce qui m’est arrivé, c’est comme être violée. Je savais que j’étais une femme. Ma différence génétique ne me conférait aucun avantage physique injuste. J’ai des seins et un vagin. Je n’ai jamais triché.

Jean-Pierre Vazel et Anaïs Bohuon dénoncent le peu de fiabilité de ces tests (chromosomiques et de testostérone) et les conséquences parfois terribles que ceux-ci ont provoqué dans les vies d’athlètes.

Raphaëlle TALBOT

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