LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

Comprendre la mobilisation des personnes en situation de handicap

« Un droit n’est pas une faveur » pouvait-on lire sur les pancartes brandies par des manifestants le 11 février dernier partout en France. Faire respecter ses droits, inscrits dans la loi, ce n’est pas chose facile pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants. Pourtant, les manifestations pour défendre leurs droits ne mobilisent que peu. En cause : une méconnaissance de leurs difficultés par la population française.

C’est un appel sur les réseaux sociaux qui a fédéré le mouvement. 39 mobilisations pour défendre les droits des personnes en situation de handicap ont eu lieu le 11 février 2020 devant les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Ce même jour, Emmanuel Macron a présenté une série de propositions pour le handicap.

Les manifestations d’ampleur nationale pour le handicap sont rares. Hors du cercle des personnes handicapées et de leurs aidants, la cause mobilise peu, en grande partie car leurs situations sont encore largement invisibilisées.

Nous avons rencontré Émeline Garcia et Delphine Robert, coordinatrices de la manifestation dans les Bouches-du-Rhône, pour mieux comprendre les raisons de leur colère, peu souvent présente dans l’actualité.

Le calcul et le montant de l’Allocation Adulte Handicapé

Les personnes en situation de handicap ne peuvent pas toujours travailler, ou du moins pas à plein temps. Ils touchent alors une allocation appelée Allocation Adulte Handicapée (AAH), à partir de 50% d’incapacité de travail, plus ou moins élevée selon cette incapacité. En 2019, 1,1 million de personnes touchaient l’AAH en France. Le montant maximum de cette allocation est de 900 euros. C’est là que le bât blesse, puisqu’en France le seuil de pauvreté est de 1026 euros pour une personne seule en 2016 selon l’INSEE.

Jusque-là il existait la possibilité pour ces personnes de toucher un complément de ressources d’un montant de 179,31 euros par mois. Or ce complément a été supprimé en décembre dernier, même si ceux qui en bénéficiaient déjà peuvent le toucher pendant encore dix ans.

L’autre source de colère réside dans la composition de la commission chargée d’attribuer ou non l’AAH. Elles sont surtout composées d’agents administratifs, et peu de professionnels de santé y siègent. « Ces personnes ne sont pas compétentes pour évaluer nos problèmes de santé, surtout lorsqu’il s’agit de cas compliqués ou peu connus » tempête Delphine Robert.

Les longs et difficiles parcours administratifs

Les demandes d’allocations, de remboursement de soin et d’aide médico-sociale des personnes handicapées sont effectuées auprès de la MDPH. « La réponse de la MDPH intervient généralement dans un délai de 4 mois » peut-on lire sur le site du service public.

« Ce délai n’est jamais respecté, témoigne Émeline, j’ai eu accusé de réception de mon dossier d’aide médico-sociale le 22 mars 2019 et je n’ai reçu la notification d’acceptation de mon dossier que le 5 décembre. Pour l’instant je ne bénéficie toujours de rien.» Un délai de presque un an pour une aide à la vie quotidienne, alors que ses multiples handicaps ne permettent plus à Émeline de faire ses courses sans rencontrer de difficultés.

La multiplicité des organismes auprès desquels faire reconnaître leurs droits rajoute un poids supplémentaire aux démarches administratives : la MDPH statue sur les demandes d’AAH, ensuite versée par la CAF ; la Sécurité Sociale s’occupe des demandes de mise en invalidité…etc « On se noie dans la paperasse, rien n’est simplifié. (…) Je ne comprends pas pourquoi on ne fait pas nos demandes à un organisme qui les centralise» affirme Émeline avec lassitude. À défaut d’un organisme, c’est un numéro national qui a été proposé par Emmanuel Macron pour faciliter les parcours administratifs.

Le non-remboursement de traitements et matériel

Pour le remboursement de leur frais de santé et de leur matériel dont elles ont besoin, les personnes en situation de handicap disposent de deux moyens. D’abord la Sécurité sociale, qui rembourse certains frais de santé. Elles peuvent également demander une aide, la Prestation de Compensation du Handicap, reversée par le département. Elle permet la prise en charge de certaines dépenses liées au handicap (l’aménagement du logement ou du véhicule, le recours à une tierce personne par exemple).

Les personnes handicapées voudraient voir ces couvertures étendues, pour leur permettre de s’équiper de matériel auquel on ne pense pas forcément, mais qu’elles considèrent comme nécessaire. « Il existe des ouvres-boîtes adaptés, des couteaux adaptés… mais malheureusement ce n’est pas pris en charge car ils sont considérés comme du matériel de confort. Et même les couches pour les personnes incontinentes sont considérées comme du confort » s’indigne Delphine.

Le manque d’Auxiliaires de Vie Scolaire pour les enfants handicapés

À la rentrée 2017, la France comptait 321 476 élèves en situation de handicap. Pour chacun de ces élèves, un Projet d’Accueil Individualisé est censé être mis en place, selon les recommandations du médecin qui suit l’enfant. Certains enfants ont donc besoin d’une Auxiliaire de Vie Scolaire (AVS), à temps partiel ou à temps plein. Or, dans une grande partie des cas, ces AVS sont « mutualisées ». Cela signifie qu’une même AVS s’occupe de plusieurs élèves handicapés dans une même classe.

« Pour ma fille (handicapée, ndlr), il y avait une AVS pour toute la classe, et son contrat n’a pas été renouvelée » regrette Delphine. Les contrats d’AVS étant des contrats aidés, leur statut est précaire et leur renouvellement d’une année sur l’autre est incertain.

Une situation qui pourrait peut-être s’améliorer… « On vise le recrutement de 11 500 agents supplémentaires d’ici 2022 » a annoncé le président de la République, Emmanuel Macron, le 11 février 2020.

Les retards de mise en accessibilité des lieux publics

En 2005, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a été promulguée. Elle dispose, entre autres, l’obligation d’accessibilité des logements, des transports publics, de la voirie, des espaces publics et des moyens de communication en ligne.

Les transports publics français devaient être rendus accessibles dans un délai de dix ans…soit en 2015. Ce qui est loin d’être le cas, puisque à Marseille seules cinq stations de métro sur 29 sont accessibles. À Paris, seulement 9 stations sur 303 sont accessibles aux personnes en situation de handicap.

Et même les établissements recevant régulièrement des personnes handicapées ne sont pas toujours accessibles ! Émeline rit jaune : « La MDPH à Marseille est excentrée, il n’y a que 4 places de stationnement devant, l’arrêt de tramway le plus proche est à 10min à pied ce qui fait loin pour moi. Actuellement il y a des travaux devant donc un fauteuil roulant ne peut pas passer. Et puis pour rentrer il y a un tourniquet ! »

15 ans après la loi de 2005 pour l’inclusion des personnes handicapées, beaucoup reste à faire.

 

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