LE 13 INFORMÉ

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Des centaines de traitements sur-mesure fabriqués en pleine crise

Dans le 14e arrondissement de Marseille, la pharmacie des Rosiers est l’une des seules en France à fabriquer des médicaments personnalisés dans son officine. Une activité essentielle au rythme effréné pour lutter contre la pénurie qui s’intensifie.

Au rez-de-chaussée, la pharmacie des Rosiers a tout l’air d’une officine ordinaire. En levant les yeux vers les femmes masquées en blouses bleues à l’étage, on comprend qu’elle est un peu plus que ça. Les étroits couloirs grouillent de préparateurs au pas de course. Ici, sont fabriqués des médicaments sur-mesure pour faire face à la pénurie qui touche certains antibiotiques. Le temps est compté pour alimenter les centaines de pharmacies en France métropolitaine et dans les Dom-Tom. « 11h30 » crie un préparateur en posant un bac rose devant l’ordinateur du patron. « La fin de la matinée est un moment de tension dans l’officine. Tous les médicaments préparés doivent être envoyés au plus vite aux clients », explique Sébastien Gallice, patron de la pharmacie des Rosiers. Sur la table, les bacs jaunes, rose et blancs pour différencier les traitements s’amoncellent. À l’intérieur sont glissées une boîte de gélules et une ordonnance dont la conformité est à contrôler avant l’expédition aux cinquante grossistes.

Une « recette » médicamenteuse stricte

Dans la pharmacie du 14ème arrondissement de Marseille, des centaines de médicaments sont fabriqués chaque jour depuis trente ans. Gélules, sirops, pommades, tout est fait sur place à partir de molécules.

« Nous nous fournissons auprès de fabricants spécialisés et nous faisons les mélanges dans nos locaux », révèle le patron qui endosse également le statut de président des pharmaciens des préparatoires de France.

La conception des antibiotiques s’apparente à une simple recette de cuisine. Une fois l’ordonnance reçue et validée, un bon de suivi est imprimé avec le grammage précis des principes actifs. Place ensuite aux salles préparatoires soumises à un protocole strict. Blouse, masque, sur-chaussures et charlottes sont de rigueur pour entrer dans les unités spécialisées. Sur les murs, les étagères débordent de produits liquides aux noms familiers « réglisse » ou plus scientifiques « ginseng », tandis que sous les plans de travail sont glissées de grosses caisses transparentes remplies de gélules.

Dans le petit laboratoire dédié aux maladies pédiatriques, Marie-Alexie Valera suit scrupuleusement les étapes de la « recette » médicamenteuse inscrite dans un cahier. Elle tire un tiroir où des centaines de pots blancs apparaissent avec un code sur le dessus. Ce sont les molécules qui peuvent atteindre des sommes astronomiques : 25 000 euros les 5 kilos pour certaines. Un prix à multiplier par le nombre de substances nécessaires à la fabrication d’un médicament, ce qui fait naturellement grimper les tarifs. Les antibiotiques sont généralement vendus deux voire trois fois plus cher que ceux des industriels. Sébastien Gallice le reconnaît : « Il est impossible de s’aligner sur les prix des grands groupes et encore moins sur les produits génériques », mais il nuance, « Le prix des médicaments reste toutefois au cas par cas, parfois on peut être moins cher que la moyenne ». D’autant qu’on peut les faire sur-mesure. « Elles se présentent toutes sous forme de poudre. Nous devons les peser avec grande prudence et être vigilant à ne pas dépasser le dosage indiqué sur l’ordonnance parce que ce sont de gros traitements », dévoile la préparatrice en pharmacie. Chaque erreur peut être fatale. Sur sa balance, le poids au centième de gramme prêt est indiqué. La dernière étape est simple : verser la préparation de façon homogène dans des gélules végétales. En tout, moins d’une journée s’écoule entre la réception de l’ordonnance et l’envoi du médicament au client.

Débordés par une demande exponentielle

Une cadence effrénée à la pharmacie car depuis décembre 2022, les pénuries de médicaments s’enchaînent et les demandes explosent de façon inédite.

« Nous recevons entre 800 et 1100 commandes quotidiennes. C’est une augmentation de 30% de notre activité à cause de la pénurie nationale dont celle de l’amoxicilline qui perdure depuis des mois » s’indigne le président des pharmaciens des préparatoires de France.

Pour renflouer les stocks des professionnels, le patron a eu l’autorisation de préparer l’antibiotique un mois en avance, ce qui était auparavant interdit.

Les causes de ce phénomène sont nombreuses. Au cœur du processus de fabrication, les industriels ont fait face à un défaut d’anticipation des demandes. Les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas ajusté leur production à la période post-Covid marquée par une recrudescence des maladies, ce qui a naturellement fait retomber la charge de travail sur la quarantaine d’officines françaises spécialisées dans les préparations magistrales qui se retrouvent débordées.

« On ne compte même plus les heures supplémentaires et les week-ends travaillés ! J’ai la chance de pouvoir compter sur une équipe volontaire prête à rattraper le retard encaissé » s’exclame Sébastien Gallice, qui compte une cinquantaine de préparateurs.

Pour lui, les médecins ont aussi leur part de responsabilité. « Ils prescrivent des posologies fantaisistes et ne respectent pas le protocole. Il faut mettre en place des directives fermes pour qu’ils apprennent à respecter le temps des traitements et les bons dosages » s’emporte celui qui pense que la vente à l’unité n’est pas la solution pour pallier le problème.

Au fil des mois, le risque de pénurie remonte le long de la chaîne de production et pèse désormais sur les fournisseurs de molécules. À la pharmacie des Rosiers, des stocks sont prévus à l’avance mais quand le manque sera avéré « Ce sera la catastrophe », se désole Sébastien Gallice qui redoute déjà l’arrivée de l’hiver et son lot de maladies aggravant la situation.

Auteur·trice
MAUD QUERRU