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Du « Far West » à la « censure politique », le périlleux sujet des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont de nouveau sur le banc des accusés / Pixabay

Avec l’affaire Miss Provence, la régulation de ces espaces est de nouveau sur le devant de la scène. Hasard du calendrier, le gouvernement travaille actuellement sur des mesures afin d’endiguer la haine en ligne, et Bruxelles a récemment voté des dispositions en ce sens. Si la limitation de tels actes est un enjeu majeur aujourd’hui, elle n’en reste pas moins un sujet complexe auquel se mêle un jeu politique.

« Tonton Hitler, t’as oublié d’exterminer Miss Provence ». Ce tweet violent et antisémite n’est pas le seul qui a été posté sur Twitter suite à la révélation par April Benayoum de ses origines lors du concours Miss France 2021. Du comité d’organisation à la classe politique, les messages de soutien et d’indignation face à de tels propos n’ont pas tardé à émerger. Et avec eux, la volonté de trouver un coupable. Après l’assassinat de Samuel Paty en novembre, les réseaux sociaux sont de nouveau sur le banc des accusés.

Les commentaires antisémites ont pullulé sur Twitter après la révélation de ses origines / Capture d’écran

« Avec la mesure prévue dans le projet de loi séparatisme, c’est exactement ce genre de haineux que je compte stopper en autorisant leur comparution immédiate. Leurs propos orduriers tenus depuis un canapé doivent les conduire le lendemain devant le juge » expliquait le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti sur Twitter après cette soirée. Pour faire face à leur explosion, le gouvernement prévoit, dans la loi contre le séparatisme qui devrait être votée en février, de permettre une comparution immédiate pour les propos haineux et d’appels à la violence tels qu’énoncés dans la loi sur la liberté de la presse de 1881. Une mesure qui fait écho à des critiques récurrentes sur la lenteur de la justice face à la viralité des réseaux sociaux.

« Internet ne peut rester un Far West »

La classe politique française n’est pas la seule à s’inquiéter de la hausse de la haine et du harcèlement en ligne. Bruxelles s’est récemment penché sur la question et a présenté un texte nommé Digital Services Act (DSA). « L’internet ne peut rester un Far West » déclarait Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur. Le but de ce texte est de faire appliquer les mêmes règles dans le monde réel que virtuel. Les plus grosses plateformes -avec plus de 45 millions d’utilisateurs- seront auditionnées tous les six mois. L’Europe entend leur demander d’avoir des moyens de modérations humains et robotisés en quantité suffisante. Nouveauté importante : chaque pays européen aura son autorité de régulation qui pourra lancer des « mandats d’arrêts numériques » pour faire retirer les contenus jugés problématiques. Au niveau des sanctions, Bruxelles touche ce qui fait mal : le portefeuille. Les amendes pourront atteindre 6% du chiffre d’affaires mondial et, en cas de graves récidives, la plateforme pourra être tout simplement interdite d’opérer sur notre continent.

Risque de « censure politique »

Ces sanctions rappellent celles envisagées en juin dans la loi contre les contenus haineux sur Internet, également connu comme « loi Avia », qui fut finalement abrogé par le Conseil Constitutionnel. Le texte prévoyait initialement d’obliger les plateformes de retirer en 24h les contenus haineux qui leur seraient signalés, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 250 000 euros et d’un an de prison. Une mesure que la Quadrature du Net dénonçait comme étant « contre-productive » et « favorisant la censure politique ».

La France a déjà essayé de réguler les réseaux sociaux avec la loi Avia.
Crédits : Free-Photos / Pixabay.

Si l’opinion publique est globalement d’accord avec cette régulation des réseaux sociaux, l’opération n’en reste pas moins périlleuse. C’est un thème scabreux, où la limite entre défense de nos droits et censure est faible. Le Conseil Constitutionnel écrivait à propos de la loi Avia qu’elle portait « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ». Les plateformes étant ainsi incitées : « à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ».

L’épineux sujet de l’anonymat :

Les attaques antisémites dont a été victimes Miss Provence ont également relancé un autre débat sur les réseaux sociaux : la levée de l’anonymat. Idée soutenue par la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse, qui demande sa suppression « pour les messages de haine ». Une mesure inefficace selon Cédric O, secrétaire d’Etat en charge du numérique. Fin novembre face aux sénateurs, il propose une démonstration éclair de son propos. Armé de son smartphone et d’un VPN (réseau privé virtuel), il se retrouve en quelques clics identifié comme étant en Allemagne. Or « jamais vous ne réussirez à m’obliger à m’identifier puisque les Allemands ne demandent pas l’identification ».  Si facilement contournable, la levée de l’anonymat est selon lui inutile. Mais c’est aussi un risque de censure pour certains. Si la nécessité de mieux empêcher les propos haineux en ligne est légitime, il ne faut pas oublier que c’est aussi grâce à cet anonymat que certaines voix ont pu s’élever dans la société, comme par exemple les nombreuses femmes qui ont pu témoigner lors du mouvement #MeToo.

Aidées par le témoignage de figures comme Adèle Haenel, de nombreuses femmes ont pu s’exprimer anonymement sur les violences sexuelles dont elles étaient victimes.                                           Crédits : Freestocks / Pixabay.

Anonymat ou pseudonymat ?

Vouloir mettre fin à l’anonymat sur Internet est surtout un faux combat car personne ne l’est réellement. Les experts parlent plus de « pseudonymat ». Et ce, pour plusieurs raisons simples. Tout d’abord, vous avez besoin d’une connexion fournie par des opérateurs. Pour y avoir accès, vous devez compléter un contrat qui comporte votre nom, adresse, identité bancaire, … Votre connexion internet possède une « adresse IP » qui est unique et propre à votre box. Autant de données auxquelles la justice a accès si besoin. Si vous possédez un compte Twitter avec un pseudonyme, vous n’êtes pas incognito non plus. Pour s’inscrire, il vous faut une adresse mail et les plateformes demandent aujourd’hui un numéro de téléphone pour sécuriser votre compte. Preuve en a été lorsque suite à l’assassinat de Samuel Paty, le ministère de l’Intérieur a identifié « 80 messages qui soutiennent l’action de l’agresseur » signalés sur la plateforme Pharos, et avait indiqué avoir engagé des procédures à leur égard.

Derrière les textes, la nécessité d’une réelle action

La légitime volonté du gouvernement d’empêcher ses citoyens de se faire harceler ou insulter impunément en ligne ne doit pas se résumer à des textes agressifs qui ne seront jamais appliqués. Car si notre système actuel de lutte contre la haine sur internet est imparfait, les dirigeants qui se sont succédés ont une part de responsabilité. Pour qu’un délit soit empêché il y a deux phases : la loi qui l’interdit, puis le policier qui arrête le délinquant et le présente à un juge. Avec la loi Avia retoquée, le projet de loi contre le séparatisme et le DSA, cette part du contrat est bien remplie. En revanche, pour la seconde moitié, des progrès sont à faire. La plateforme Pharos est chargée de récupérer les signalements faits par les usagers pour ensuite les transmettre aux autorités compétentes. D’après 20 minutes, ils sont « une trentaine de policiers et gendarmes » à traiter près de 5 000 signalements par semaine. On comprend ainsi plus facilement comment celui du meurtrier de Samuel Paty a pu échapper à leur regard. En 2017, pour 1000 euros dépensés par l’Etat, seulement 4 allaient dans les caisses de la Justice.

Répartition des dépenses publiques en 2017 / Capture d’écran Ministère de l’Economie.

« Rien n’a été entrepris pour que la justice l’entende »

Grâce à son exposition médiatique et aux réactions des hommes politiques, dont ceux du gouvernement, Miss Provence a la chance d’avoir une procédure accélérée pour les attaques dont elle a été victime. Une chance dont ne bénéficie pas tout le monde, comme par exemple la journaliste Julie Hainaut harcelée par des militants d’extrême droite depuis trois ans, qui se bat au jour le jour pour que ses auteurs soient poursuivis. Pixels rapporte : « rien n’a été entrepris pour que la justice l’entende [l’homme à l’origine de son harcèlement], alors même qu’il a déjà été condamné plusieurs fois, que plus d’une dizaine de mandats de recherche le visent et qu’il fait l’objet d’une fiche S ».  La journaliste expliquait en 2019, soit deux ans après les faits, n’avoir jamais été entendue par le magistrat en charge de l’enquête.

La haine en ligne est un sujet majeur, alors qu’un adolescent sur dix se déclare en avoir été victime. Face à la viralité et l’opacité des réseaux sociaux, une mise à jour de notre système législatif est un bon premier pas pour endiguer ces actions néfastes. Pour autant, sans être naïf sur la dangerosité de ces plateformes, il ne faut pas oublier les dysfonctionnements annexes, qui empêche tout autant les réseaux sociaux d’être un lieu convivial, où harcèlements et insultes sont proscrits. En refusant de mettre les moyens humains et financiers nécessaires, cela revient presque à annuler de tels lois, ne les rendant utiles et efficaces que lorsqu’une personnalité médiatique importante est victime de harcèlement, et laissant dans l’ombre et l’indifférence le million de Français de moins de 18 ans qui en est victime chaque année.

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