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Gymnases impraticables, le ras-le-bol des professeurs d’EPS du collège Henri Barnier à Marseille

Complexe sportif Saint-André dégradé, murs noircis depuis juin 2020 - 23/02/2023

Les murs du gymnase sont noircis par la crasse. Crédit : Clément Poulet

Résignés, les six enseignants de sport de cet établissement du secondaire REP+ de la cité La Castellane n’ont plus aucun espoir quant à la réouverture du complexe sportif Saint André, hors d’usage. Ils n’ont même plus le droit d’y mettre les pieds.

« Ça fait deux ans et demi que ça dure. Deux ans et demi qu’on fait des cours théoriques d’EPS dans des salles de classe quand il pleut. Deux ans et demi que nous pratiquons du handball sans cage ni délimitation de terrain. Deux ans et demi que nous faisons du STEP dehors faute de place…». La liste, non-exhaustive, dressée par Julien Pastorelly, coordinateur de l’équipe EPS du collège Henri-Barnier, situé dans le 15e arrondissement de Marseille, témoigne de son exaspération face à une situation qui s’enlise depuis juin 2020.

Complexe sportif Saint-André dégradé, murs noircis depuis juin 2020 - 23/02/2023
Les murs du gymnase sont noircis par la crasse. Crédit : Clément Poulet.

A l’époque, nous sommes au sortir du premier confinement et les enseignants d’éducation physique et sportive retrouvent leurs gymnases dans un sale état. Après un grand nettoyage, ils constatent des câbles électriques qui pendent dans le vide, un local de matériel de sport vide car dérobé, des fenêtres qui ne ferment plus… Ils jugent utile d’alerter la municipalité sur le délabrement de cet équipement collectif dont l’un est géré par la mairie centrale et l’autre par la mairie de secteur, pour qu’il retrouve un aspect normal. Constatant les dégradations, la commune, qui peine à assurer son entretien faute de moyens, ordonne la fermeture du gymnase à titre conservatoire.

Sous la houlette du nouvel adjoint au sport à la mairie de Marseille, Sébastien Jibrayel, des travaux sont entrepris dès novembre 2020 « dans des conditions difficiles au vu de l’environnement étriqué notamment pour y accéder en camion ». D’après l’élu, « plusieurs entreprises prestataires de la Ville sont poussées à partir à cause d’individus malveillants qui empêchent le bon déroulé du chantier ». En mars 2021, une nouvelle tentative est effectuée avec d’autres sociétés qui reprennent les choses en main. « Au bout de quelques jours, elles se font voler tout leur matériel », indique l’homme qui est aussi conseiller départemental des Bouches-du-Rhône des 15e et 16e arrondissements. Et au mois de décembre de la même année, rebelote.

La préfète de police engagée

« On a bon espoir à chaque fois, et tout repart de zéro », souffle le responsable de l’AS VTT Régis Chavert, qui évoque un problème de gardiennage. « La situation commence à agacer aussi bien le collège que la mairie », poursuit Sébastien Jibrayel, conscient que la sécurisation des lieux doit être assurée le temps des travaux. « J’ai engagé la préfète de police car les choses ne me convenaient pas », annonce le socialiste.

Arrivé en poste à Henri Barnier en septembre, Benoît Muller, qui est sur une affectation à titre provisoire jusqu’à la fin de l’année, n’a jamais pu exercer dans les gymnases de Saint André. Ils apparaissent à ses yeux comme des légendes dans la bouche de ses collègues : « Tu te souviens quand on faisait l’association sportive de basket dans ces enceintes ». Soucieux de la qualité de son travail, il évoque « un vrai frein pour la programmation et a fortiori pour la diversité des activités proposées aux 650 élèves de l’établissement ».

Sans toutes leurs infrastructures sportives, les six professeurs d’EPS font « du bricolage ». Ils ne disposent que d’une piste d’athlétisme et de deux salles de sport dans laquelle ils font pratiquer « aux mômes » la boxe, l’acrosport, la danse, le tennis de table… Bien qu’étant au programme, certaines disciplines telles que le badminton, le volleyball et le basket ont été abandonnées. « On fait à notre sauce et avec les moyens du bord », convient Julien Pastorelly, qui dénonce une « mise en danger » des enfants. « Ce sont eux qui en payent les frais car on est obligés de faire cours en hiver, à 8h du matin, en extérieur ».

Désabusé, son collègue Régis Chabert s’est sérieusement posé la question d’une possible mutation. Mais voyant que celle de son confrère, en charge de la spécialité badminton UNSS, a été refusée, il a fait machine arrière. « Si je partais, c’était à double tranchant car j’aurais perdu des points de plusieurs années d’ancienneté », conçoit aujourd’hui avec du recul celui qui est en poste depuis cinq ans dans l’établissement REP+.

Saint André, un révélateur de l’état de carence de la ville

Complexe sportif Saint-André dégradé depuis juin 2020 - 23/02/2023
Au milieu du gymnase, un câble électrique tombe au sol. Crédit : Clément Poulet.

« On reçoit des personnalités mais rien ne bouge », tance Julien Pastorelly. Le corps professoral a essayé, en vain, de profiter de la venue d’un de leurs anciens illustres élèves pour plaider leur cause. De passage en octobre dernier avec le rappeur marseillais Soprano, Zinedine Zidane a rendu visite, dans le cadre de l’association Ela, à des élèves de sixième. Un mois plus tard, c’est au tour du ministre de l’Éducation Pap Ndiaye de rencontrer élèves et enseignants de ce micro-collège. « L’information lui aurait été glissée à l’oreille. De base, nous n’étions même pas conviés à cette entrevue, fustige le coordinateur de l’équipe EPS. Ce qu’a annoncé Macron dans son plan « Marseille relance », on est les derniers à y avoir droit ».

Saisi par les profs, le syndicat SNEP-FSU dénonce « l’inaction de la municipalité et son refus de dialoguer ». Le responsable équipement du syndicat, Stéphane Jouve, s’est déplacé à deux reprises à Saint André et a constaté des défaillances électriques et de plomberie d’envergure. De type Cosec (complexe omnisports évolutif couvert), ces gymnases datent des années 1970. Autrefois propriété de l’État, ils sont tombés entre les mains de la Ville avec la loi de décentralisation de 1985.

« Saint André est un révélateur de l’état de carence de la ville en matière d’installations sportives, considère le co-secrétaire. Depuis 50 ans, rien a été fait. On gère la pénurie. C’est l’effet domino, les complexes sportifs ferment les uns après les autres ». D’après lui, sur une centaine de gymnases, une dizaine sont laissés à l’abandon et n’ouvriront plus leurs portes.

300 000 euros investis pour Saint André

Un brin provocateur, le prof d’EPS du lycée Jean Perrin va plus loin en estimant que les installations sportives étaient mieux il y a cinquante ans. « Marseille est la ville française où les infrastructures sont les pires. Une fois sur deux, les douches ne fonctionnent pas ». Il compare Marseille à Montpellier. « On compte seulement huit piscines ici. A Montpellier, il en existe 14 alors qu’ils sont deux fois moins d’habitants. Faut pas s’étonner que 35% de gamins ne savent pas nager »

Pour pallier tous ces manques, le syndiqué propose de miser sur des constructions de nouveaux gymnases éco-responsables afin de changer des plateaux qui datent des années 1970 pour 50% d’entre eux. Le Printemps marseillais, il en pense quoi ? « Moi, j’appelle ça plutôt un hiver ou un automne marseillais… ».

L’adjoint au sport, Sébastien Jibrayel, conteste les données chiffrées de Stéphane Jouve. « Deux complexes sont impraticables : Saint André et Massenet. Sept dont celui d’Estaque Rabelais ont été rénovés depuis mon arrivée ». Satisfait de son bilan provisoire à quasi mi-mandat, il ne fanfaronne pas et fait de l’état des gymnases municipaux sa principale préoccupation. En conséquence, il révèle que 300 000 euros sont « mis sur la table » pour rénover Saint André. Sébastien Jibrayel le promet : « Je ferai tout ce qui est en mon possible pour que ces travaux se fassent le plus rapidement possible ».

Marseille prévoit 182 millions d’euros de dépenses d’équipements sportifs jusqu’en 2026

Adopté ce 10 février en conseil municipal, le budget primitif principal de 1,9 milliard d’euros, présenté par l’équipe municipale du Printemps marseillais, accorde une bonne place au sport. 10% de ce budget est consacré aux investissements sportifs soit un total de 182 millions d’euros d’investissements à réaliser d’ici 2026. Dans une ville sous-équipée en matière d’équipements sportifs, « il s’agira notamment de créer, rénover et maintenir les stades, les gymnases et les parcs de sports (106 millions d’euros) et de mettre l’accent sur les piscines (66 millions d’euros) », dessine Sébastien Jibrayel.

Auteur·trice
Clément Poulet

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