LE 13 INFORMÉ

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L’athéisme bientôt criminalisé en Égypte ?

Le Parlement égyptien prépare une loi qui rendrait illégal de ne pas croire en Dieu, alors que la minorité athée est déjà isolée au sein de la société égyptienne.

Alors que le maréchal al-Sissi est favori à sa propre succession à la tête de l’Egypte, la liberté de religion pourrait se restreindre / KHALED ELFIQI / EPA

La scène, relayée par l‘Institut de recherche des médias du Moyen-Orient (MEMRI), a été vue 161 000 fois sur Twitter. Le 11 février dernier, un jeune homme est expulsé d’une émission de télévision égyptienne après avoir affirmé être athée. Invité à quitter le plateau par le présentateur, Mohammad Hashem se voit également recommander de se rendre dans un « hôpital psychiatrique » par  le cheikh Mahmoud Ashour, invité de l’émission. « Beaucoup de jeunes gens aujourd’hui souffrent de maladies mentales », a déclaré ce membre de l’université al-Azhar du Caire, une des plus hautes autorités de l’islam sunnite.

Cette séquence est révélatrice du climat régnant actuellement en Égypte. A trois semaines des élections présidentielles, durant lesquelles l’actuel dirigeant al-Sissi devrait être aisément réélu, le Parlement égyptien s’apprête à étudier un projet de loi de pénalisation de l’athéisme. Au sein d’une société composée à environ 90% de musulmans et à un peu moins de 10% de chrétiens, les non-croyants sont une minorité très isolée. En 2015, après la condamnation à trois ans de prison d’un étudiant ayant annoncé son athéisme sur son compte Facebook, la directrice de l’ONG Human Rights Watch au Moyen-Orient avertissait déjà du danger pesant sur les athées, « une des minorités les moins protégées d’Égypte ». Le 24 décembre dernier, une femme a perdu la garde de ses enfants en raison de sa non-croyance, selon une information rapportée par RFI.

  • De la loi ambiguë à la loi répressive

Selon le Code pénal égyptien, le blasphème est illégal. Dénigrer une des religions dites abrahamiques peut être puni d’une amende ou d’une peine de prison de six mois à un an. La propagation de l’athéisme, c’est-à-dire toute revendication, affirmation, de la part d’un individu, de sa non-croyance, est aussi illégale. Être athée, en revanche, n’est qu’implicitement condamnable. La Constitution égyptienne affirme en effet la liberté de religion, mais n’en reconnaît que trois: l’islam, religion d’État, le judaïsme et le christianisme. Elle ne fait aucune mention de l’athéisme. Une personne athée est susceptible d’être sanctionnée uniquement si elle affiche publiquement sa non-croyance, ce qui relève du délit de blasphème ou d’apostasie.

Il est cependant difficile pour un citoyen n’appartenant à aucune des trois religions monothéistes constitutionnelles de garder ses croyances dans la sphère privée. En Égypte, il est obligatoire de déclarer à l’administration son appartenance à la religion musulmane, copte ou juive, pour obtenir sa carte d’identité. Sans cet élément, mentionné sur la carte au même titre que le sexe ou le nom, un citoyen ne peut obtenir de document d’identité. Or, c’est un préalable indispensable pour ouvrir un compte bancaire, trouver un emploi ou encore passer son permis de conduire. Les athées et les minorités religieuses non-reconnues doivent donc renoncer à leur pièce d’identité, ou mentir à l’administration. 

Avec le nouveau projet de loi criminalisant l’athéisme, l’Égypte mettrait fin à l’ambiguïté de sa loi actuelle. Elle deviendrait le premier pays au monde à interdire à ses citoyens d’être athées et à punir la simple non-croyance, revendiquée ou non. Si l’apostasie et le blasphème sont condamnés par plusieurs pays, parfois par la peine capitale, l’athéisme n’est en revanche pénalisé nulle part dans le monde.

Dans ces 13 pays, l’apostasie et le blasphème sont des crimes pouvant être punis de mort / Source : rapport annuel 2017, International Humanist and Ethical Union (IHEU) 

  • Un nouveau coup porté aux libertés, sept ans après le Printemps arabe

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, en 2014, les libertés se sont peu à peu réduites en Égypte, où le gouvernement est confronté aux attentats réguliers de l’État islamique, implanté à l’est du pays, dans le Sinaï. En 2015, la loi anti-terroriste portait un coup à la liberté de la presse, en interdisant aux journalistes de publier des informations contraires à celles du gouvernement sur les attaques terroristes, sous peine de prison, peine ensuite commuée en amende. Des rapports d’Amnesty International et d’Human Rights Watch dénoncent par ailleurs une augmentation des arrestations d’opposants et militants politiques, ainsi que le recours à la torture par les autorités.

Après le vent de démocratie et de liberté apporté par la révolution de 2011, qui avait renversé la dictature d’Hosni Moubarak, l’Égypte connaît un retour au conservatisme et au rigorisme moral. En décembre dernier, la chanteuse égyptienne Shyma a été condamnée par le tribunal du Caire à deux ans de prison en raison de postures lascives dans le clip d’une de ses chansons, jugées comme « incitation à la débauche ».

Depuis le printemps arabe, le retour à un régime conservateur

Depuis le coup d’Etat qui l’a porté au pouvoir en 2013, Abdel Fattah al-Sissi dirige le pays d’une main de fer. L’ancien militaire, qui s’est installé comme le garant de l’unité nationale, dispose d’une solide base de soutien, notamment grâce à l’armée. Mais il doit faire face à la menace terroriste et à la crise économique: 40% des Égyptiens vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Pour ses opposants, la politique menée par al-Sissi a réduit à néant tous les acquis du Printemps arabe, notamment la liberté de penser et le droit de manifester. Mais cette opposition peine à s’exprimer politiquement. Lors de l’élection présidentielle, les 26, 27 et 28 mars, les Égyptiens auront le choix entre deux candidats seulement : Abdel Fattah al-Sissi, candidat à sa propre réélection, et Moussa Mostafa Moussa, chef du parti Al-Ghad et proche de l’actuel président. Tous les autres candidats ont renoncé, et plusieurs ont déclaré avoir été victime de pressions, comme Khaled Ali, avocat défenseur des droits de l’homme, dont plusieurs collaborateurs de campagne ont été arrêtés. Quant à Moussa Mostafa Moussa, avant de se présenter comme candidat à la présidentiel, il avait fait campagne pour…Abdel Fattah al-Sissi.

Camille Huppenoire

Auteur·trice