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Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

Le parc Corot, la « honte » des quartiers nord à l’abandon

Dans le troisième arrondissement de Marseille, le parc Corot est une cité délabrée. Entre drogue, violence et prostitution, les habitants aux revenus modestes vivent un enfer. L’absence de régulation par les pouvoirs publics profitent aux squatteurs qui envahissent les lieux marqués par l’insalubrité.

Un espoir renaît doucement avec un plan d’aménagement et de rénovation.
Les 6 bâtiments restants du Parc Corot portent des marques de vétusté. Crédits: M.Querru

« J’ai vendu mes appartements au parc Corot. Dégoûté par la tournure des événements. Je ne veux plus m’occuper de ça ». Le SMS de Johan Mahé est brutal. Surtout quand on sait que l’homme s’était promis de sauver la « pire cité de Marseille », selon un article du Monde. Sur ses raisons, Johan Mahé n’en dira pas plus. Pourtant à l’entrée du parc Corot, rien ne laisse présager la présence d’un quartier difficile. À dix minutes du centre-ville en voiture, pour y venir, les rues sont propres et calmes. Surgit un petit renfoncement qui abrite des commerces alimentaires mal entretenus. L’entrée de la cité, un autre monde. Musique hurlante, quelques hommes au volant de leurs véhicules regardent avec insistance d’un air méfiant. Des guetteurs ? Difficile à dire. La cité déploie ses immeubles vétustes d’une dizaine d’étages dans le fond. Les ravalements s’effritent, les volets sont recouverts de rouille, des traces de matériels brûlés, des tags et les nombreuses ordures jonchent les rues et témoignent du quotidien des habitants. Au milieu des tours, seuls quelques enfants venus jouer sur le terrain de football, rentrent dans leurs appartements où le linge suspendu aux fenêtres est l’unique trace de vie. L’ambiance est étrange. Le calme apparent contraste avec le sentiment d’insécurité.

 Le parc Corot n’a pourtant pas toujours eu cette allure de zone de guerre. Historiquement, ces 7 bâtiments et 376 logements ont été construits sur une colline entre 1959 et 1964. Dans les années 1960, de nombreux rapatriés d’Algérie sont venus s’installer dans ces immeubles modernes à Marseille. Le parc de quatre hectares était bien fréquenté et entretenu. Pendant 25 ans, rien n’était à déplorer avant qu’un tournant dans les années 2000 vienne changer les choses.

« Le début des problèmes a commencé avec des loyers impayés. Entre 2005 et 2010 il y a avait des logements occupés par des locataires qui ne payaient plus donc les propriétaires ne versaient plus leurs charges » explique Jacques Chanard, héritier d’un appartement.

Le président de l’association « Le collectif citoyen Corot », a vu la descente aux enfers du parc Corot qui ne cessait de se dégrader.

 Vieilles de cinquante ans, les infrastructures s’usaient et nécessitaient des travaux de rénovation tels que la réparation des ascenseurs mais faute d’argent issus de la perception des charges, les travaux n’ont jamais eu lieu. « À côté des propriétaires qui peinent à payer leurs charges, on a la mairie de Marseille qui avait promis des aides qui ne sont jamais venues. Un plan de rénovation urbaine devait subventionner les travaux mais il n’a jamais vu le jour » se désole Jacques Chanard. Le parc Corot a été abandonné. Aucune rénovation n’a été faite, ce qui a entraîné un effet domino avec une dégradation continue et une accumulation des problèmes. Un cercle vicieux s’est installé. Les appartements ont perdu de leur valeur, ont été mis en vente et rachetés par des propriétaires dont la salubrité ou la dignité ne sont pas leurs principaux soucis. Au fil du temps, cela a laissé place à de véritables « bidonvilles verticaux ».

 Un quotidien entre squat, drogue et prostitution   

 Les quelques appartements désertés par des locataires fuyant l’insalubrité ont laissé la place aux squatteurs. Depuis 2012 avec l’arrivée des migrants albanais et afghans, la cité est touchée par le fléau d’occupations illégales dont elle ne parvient pas à mettre un terme. 18 appartements sur 60 sont habités par des migrants. « Un tiers des appartements est occupé par des squatteurs. On demande à les expulser mais les pouvoirs publics ne veulent pas » déplore Jacques Chanard. Son ami, Johan Mahé, qui a créé l’association « Corot debout déterminés » a lui-même été victime de squat dans son appartement. Par la force, il a repris possession de son bien ce qui lui a valu une garde à vue de 36 heures pour violation de domicile. Les squatteurs sont protégés par la loi ALUR de 2014 qui a créé un délit d’expulsion illégale. Même si le squat dure et met les propriétaires dans une situation délicate, il est interdit d’expulser soi-même les occupants. L’arrivée du squat s’est accompagnée de dégradations dans les parties communes et privées qui ne sont pas entretenues. « La vétusté des canalisations provoque des dégâts des eaux usées avec des infiltrations. Les ascenseurs et les lumières sont cassées » s’indigne Constance Beaux, coordinatrice de l’association Soliha Provence qui gère les logements et l’accompagnement des personnes au parc Corot. La longue liste des problèmes rencontrés au sein des bâtiments dresse un tableau noir des conditions de vie indignes entre humidité, moisissure et crasse. Les rats, nouveaux colocataires, ont pris possession des lieux et déambulent entre les appartements. « Ce mal-logement a des répercussions sanitaires graves. Les occupants font de l’asthme et ont des allergies. Les enfants présentent des difficultés à travailler et à dormir » interpelle la coordinatrice de l’association. Malgré la détérioration des appartements, les propriétaires ne souhaitent pas s’engager dans des travaux car leur coût est trop élevé. « Parfois, les réhabilitations ne sont pas effectuées dans les normes donc ça aggrave le problème plus que ça ne le résout » contraste Constance Beaux.

La représentante de l’association accuse les marchands de sommeil d’être à l’origine des délabrements. « Ces propriétaires peu scrupuleux louent des logements insalubres, sans faire de travaux et à des montants de loyer élevés. Ils sont peu regardants sur les personnes qui logent dans leurs appartements. Ils ne sont attentifs qu’aux APL sur lesquelles ils comptent pour rentabiliser leur achat » dénonce Constance Beaux avant d’ajouter « Il y a un mépris pour les habitants. Les gens se plaignent, ils veulent partir mais sont découragés par la lourdeur administrative qui demande du temps et de l’énergie ».

Les gangs ont fait des bâtiments délaissés et tombés en ruine, un endroit idéal pour s’implanter. La drogue, la violence et les réseaux de prostitution ont trouvé leur place dans un quartier où la police n’ose plus mettre les pieds. Ici, dans un climat de guerre des clans entre Albanais, Afghans et Nigérians, seule la loi du plus fort règne. Derniers arrivés, les nigérians sèment la zizanie et la terreur pour imposer leur domination sur le contrôle de la drogue.

« Les Nigérians sont les plus cruels et les plus dangereux. Les autres gangs ont été terrorisés » s’alarme Jacques Chanard.

Les règlements de compte fréquents se soldent par des meurtres perpétrés à la machette. Depuis cinq ans, les habitants subissent une criminalité quotidienne. « La cohabitation entre d’anciens locataires et les migrants est devenu très difficile. Les locataires ont peur et cherchent à s’en aller » témoigne Jacques Chanard.

 Au milieu du trafic de drogue sur fond de violence, la prostitution occupe une place prépondérante. Les gangs usent de la détresse des migrants pour créer des réseaux de prostitution dont les femmes nigérianes sont les principales victimes. La procureure de la République à Marseille, Dominique Laurens, indiquait que « les chefs de réseaux ont recours aux sévices corporels et au viol pour contraindre les jeunes femmes à se prostituer ». En 2018, Grace Inegbeze a créé l’association The Truth pour venir en aide aux femmes issues de l’immigration nigériane en France. Elle se bat pour les sortir de l’emprise des réseaux mafieux de prostitution. « Ces femmes âgées de 20 à 30 ans subissent de la pression et n’ont pas d’autres choix que de se prostituer. Pour elles, cette situation est horrible. C’est un sacrifice qu’elles font pour aider leur famille » assure « l’ange gardienne » des nigérianes.

Le proxénétisme est malheureusement perçu comme l’une des seules raisons qui mobilise la police au parc Corot. Ces dernières années plusieurs opérations policières ont été menées dans le quartier pour démanteler les réseaux de prostitution nigérians. Au total, plus d’une dizaine de personnes a été interpellée.

 Un espoir de renouveau

 Face à cette accumulation de problématiques qui ne cesse de croître, plusieurs syndics généraux se sont succédés pour sauver le quartier mais le dernier en date, Cogefim Fouques, n’a fait qu’aggraver la situation pendant 7 ans.

Depuis 2006, les bâtiments du parc Corot sont dans le viseur de plusieurs plans de rénovation mais nombreux sont les projets qui échouent. Considéré comme « la honte de la ville », le parc Corot a été placé en 2017, parmi les 14 quartiers prioritaires marseillais pour un programme national de rénovation urbaine de la métropole. La députée Alexandra Louis avait reconnu que « la situation du Parc Corot relève de l’extrême urgence ». Depuis, un projet d’aménagement confié à CDC Habitat s’est développé avant que Julien Denormandie, l’ancien  secrétaire d’Etat auprès du ministre du Logement, annonce un plan de lutte contre l’habitat indigne dans lequel figure le Parc Corot. Trois milliards d’euros sont investis sur dix ans pour transformer et rénover les copropriétés dégradées. Des opérations de démolition-reconstruction voient doucement le jour pour permettre la mutation du quartier vers une plus grande mixité sociale avec des logements neufs et revalorisés. Pour Jacques Chanard, le retraité qui a vendu ses appartements à la caisse des dépôts pour une somme modique, ce projet lui paraît « illusoire ».

« Nous sommes dans une pente infernale » conclut-il en perdant espoir dans la renaissance du parc Corot.

Auteur·trice
MAUD QUERRU