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Les 5 travaux herculéens de Latinissimo pour financer la Fiesta

Pour organiser sa Fiesta, confrontée aux baisses de subventions publiques, Latinissimo a cherché à renforcer ses autres sources de financement. Une longue épopée semée d’embûches.
La Fiesta des Suds est financée par ses partenaires publics et privés, mais aussi pour un tiers grâce aux recettes générées par le festival. © Julie Le Mest

Dans la mythologie grecque, Hercule dut accomplir douze travaux pour être reconnu par les dieux comme l’un des leurs. Des travaux d’une difficulté extrême. Des siècles plus tard, dans la mythologie culturelle, Latinissimo dut aussi accomplir sont lot de travaux pour voir sortir de terre cette 27e Fiesta.

Moins de pommes d’or au Jardin des Hespérides

C’était la onzième épreuve d’Hercule. Il devait mettre la main sur les pommes d’or des Hespérides. Pour Latinissimo, amasser le précieux métal est le défi premier. « Depuis toujours, c’est le département qui est notre principal partenaire public », lance Marc Aubergy, le président de Latinissimo, qui enfanta la Fiesta des Suds vingt-sept ans plus tôt. Mais après une subvention de près de 700 000 euros en 2013, année où Marseille était sacrée capitale européenne de la culture, les aides du département ont fondu comme neige au soleil. Comme si la culture était abandonnée, après ce coup de projecteur. En 2016, Latinissimo ne reçoit plus que 325 000 euros du département pour sa Fiesta. Elle doit alors muter en un véritable Hercule, pour diversifier ses financements, plus que jamais. Depuis, le calme est revenu et les aides sont un peu remontées… à 330 000 euros.

Les juments carnivores de Diomède grignotent les subventions

La Fiesta des Suds n’est pas tirée d’affaires pour autant. Car en coulisses, certains acteurs publics piaffent de devoir subventionner la culture. Telles les juments carnivores qui mangeaient les invités de Diomède, ils se sont montrés particulièrement féroces avec les festivals de musique, dont ils ont rogné les aides. Cette année, le département des Bouches-du-Rhône a coupé la subvention de 80 000 euros du festival des Suds d’Arles. Quant à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, elle a dévoré l’aide apportée à Babel Med, passée de 329 000 euros l’an dernier à 70 000 euros cette année. Du coup, Latinissimo, qui gère aussi Babel Med, a dû se résoudre à annuler le festival, en décembre 2017.

Les écuries d’Augias, ou comment contourner la fonte des subventions

Les écuries d’Augias n’avaient jamais été nettoyées. Comprenant qu’il ne pourrait les laver seul, Hercule cherche à contourner le problème. Il finira par détourner une rivière pour qu’elle emporte toutes les saletés sur son passage. Comme le demi-dieu, les membres de Latinissimo ont dû contourner le problème de coupes des aides publiques.

Et comme Hercule, ils ont fait couler de nouvelles sources de financement pour balayer les problèmes de leurs écuries. « Au début en 1994, on était financé par les deniers publics à 90%. Aujourd’hui, ils ne pèsent plus que 28% », se remémore le président de Latinissimo. Pour régler la note totale de 1 322 152 euros, les membres de l’association se sont retroussé les manches. Aujourd’hui, un tiers du coût du festival est couvert par les recettes de la billetterie (billets compris entre 15 et 28 euros pour une soirée) et de la buvette. Un flot si puissant qu’il a permis de renforcer la Fiesta des Suds.

La menace sécuritaire, véritable hydre de Lerne

Dans la mythologie, il est raconté qu’Hercule doit tuer l’hydre de Lerne, une sorte de dragon à neuf têtes. Problème, chaque tête coupée repousse. Depuis les attentats de 2015 au Bataclan, la menace sécuritaire est comme la bête monstrueuse. Elle est multiple. Paraît invincible. Et vient de partout. Il faut couper court à tout fragment de menace, aussi infime soit-il.

Alors, forcément, la facture flambe (+ 43% en trois ans). « Ça nous coûte 75 000 € pour assurer la sécurité du public pendant trois jours. Auxquels il faut aussi ajouter les trois camions anti-attentats, les rondes de police… Avant, c’est l’État qui payait une partie de ces frais. Aujourd’hui, c’est nous », se désole Marc Aubergy. Comme beaucoup de directeurs de festivals, il ne peut plus se passer des acteurs privés, qui payent environ un tiers de l’événement.

Séduire les Amazones

Le neuvième travail d’Hercule consiste à s’emparer de la ceinture d’Hippolyté, reine d’une tribu de femmes guerrières appelées les Amazones. Pour ce faire, il décide de séduire Hippolyté, qui finit par lui donner la précieuse ceinture. De la même manière, les organisateurs de la Fiesta tentent de séduire les entreprises, pour capter des financements. Et ça marche.

Sur le dépliant du festival, une opulence de marques. Crédit mutuel et Kronenbourg en tête, les acteurs privés abondent aujourd’hui un tiers des finances de la Fiesta. Et poussent Latinissimo dans ses retranchements. « Je ne veux pas de Coca-Cola comme soutien, plaisante Marc Aubergy. On est un festival français indépendant. Un peu à l’opposé de Coca. » Il oublierait presque que le logo de Pepsi orne le dépliant. « Oui, c’est vrai », souffle-t-il.

La menace : les partenaires privées, ces dangereuses Amazones

Mais selon la légende, ces mêmes Amazones croient qu’Hercule veut enlever leur cheffe Hippolyté, et finissent par se retourner contre lui. Le héros a alors du mal à faire le poids contre ces femmes irrésistibles, puissantes, et redoutables. C’est un peu comme cela qu’on pourrait décrire les nouveaux poids lourds du spectacle.

Depuis quelques années, de puissants groupes font leurs courses dans le marché mondial des festivals de musique. En 2005, le groupe français Morgane Production prend le contrôle des Francofolies de la Rochelle, puis en 2013 du Printemps de Bourges. En mars 2017, LNEI, une holding de l’homme d’affaires Mathieu Pigasse avale Rock en Seine. Pendant ce temps, le mastodonte américain Live Nation rachète tous azimuts. Le géant aux 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires et aux 30 000 spectacles a attiré en 2017 pas moins de 86 millions de spectateurs dans ses salles. En France, il fait main basse en 2007 sur le Main Square d’Arras, et multiplie la fréquentation par 3,5 en dix ans. Et il y a quelques semaines, le gros poisson s’est approché des côtes méditerranéennes et a pris des participations dans le festival de musique électronique Marsatac.

Depuis, Marc Aubergy semble craindre un rachat, dont même Hercule ne se relèverait pas. Et faire des cauchemars de la firme américaine… irrésistible, puissante. Redoutable.

© Alexia Cappuccio

Jonathan Roisin

Auteur·trice