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Les gilets jaunes, détonateurs d’une crise sociale à la Réunion

Couvre-feu, fermeture des écoles, barrages, pénurie de médicaments et de denrées alimentaires … Plus encore qu’en métropole, le mouvement des gilets jaunes a été particulièrement suivi à la Réunion. Mais les causes de cette crise ne se limitent pas aux prix à la pompe : les Réunionnais souffrent d’un sentiment de déclassement vis-à-vis des Métropolitains.  

Les gilets jaunes manifestent en masse dans les rues de Saint-Denis à La Réunion. © Capture d’écran CNEWS

Mardi 4 décembre, deux semaines après le début du mouvement des gilets jaunes, les écoliers réunionnais ont pu reprendre le chemin de l’école. La situation s’apaise peu à peu sur l’île : les dockers reprennent le travail, une partie des barrages sont levés. Mais les flammes de la colère populaire sont loin d’être étouffées. Le prix du carburant n’est que l’un des multiples facteurs qui a mis le feu aux poudres.

Plus généralement, c’est le coût de la vie sur l’île qui pèse aux Réunionnais. Selon François Hermet, maître de conférence en sciences économiques à l’université de la Réunion, interrogé par France 24, « le différentiel en matière alimentaire [avec la métropole était] de l’ordre de 37 % en 2015 ». Les produits importés sont grevés d’une surtaxe : l’octroi de mer, qui permet d’alimenter le budget de la région et des communes. Ces importations constituent une large part du panier des ménages, notamment le riz, utilisé comme aliment de base à l’instar du pain dans les terroirs hexagonaux.

Un taux de pauvreté trois fois supérieur à la métropole

Un taux de chômage, selon l’INSEE, de 24% (contre 9% pour l’Hexagone) complète l’équation perdante de l’île. Tout est réuni pour un développement endémique de la pauvreté, qui atteint près de 40% (14% en métropole). La Réunion, territoire le plus peuplé de tous les départements ultramarins, est donc très sensible aux variations de prix sur les produits de base. « Dans ce contexte, seule une hausse immédiate des prestations sociales pour les plus pauvres est susceptible d’éteindre l’incendie », assure François Hermet, joint par France 24.

On sent, au fond, un très fort ressentiment des Réunionnais à l’égard des politiques, si ce n’est un rejet total, qui peut expliquer aujourd’hui la virulence de leur position. 

Outre la situation économique, le paysage politique de l’île est également très propice à la propagation du mouvement des gilets jaunes. Lors des élections présidentielles de 2017, France Insoumise (24,53 %) et Front national (23,46 %) sont arrivés en tête au premier tour, devant la République en marche (18,91 %). « On sent, au fond, un très fort ressentiment des Réunionnais à l’égard des politiques, si ce n’est un rejet total, qui peut expliquer aujourd’hui la virulence de leur position », souligne le politologue Damien Deschamps, interrogé par 20 Minutes. Ce dégoût du monde politique traditionnel constitue donc un terreau fertile au développement du mouvement citoyen et apolitique des gilets jaunes.

Une crise révélatrice de problèmes spécifiques aux DOM

S’il est vrai que le mouvement des gilets jaunes n’a pas pris autant d’ampleur dans les cinq autres DOM français, cette crise sociale et économique n’est pas pour autant spécifique à La Réunion, selon le chercheur François Hermet. « Tous [les DOM] ont connu au moins une crise sociale majeure au cours de ces 10 dernières années », assure-t-il à France 24. L’actualité réunionnaise évoque la situation de Mayotte au début de l’année 2018. « Même si le développement économique et social de La Réunion est significativement supérieur, il y a dans les deux cas un sentiment d’incompréhension face à certaines inégalités sociales qui persistent après la départementalisation », continue François Hermet.  Le mouvement réunionnais rappelle également la grève générale de 2009 en Guadeloupe et Martinique. Les habitants réclamaient alors une baisse des taxes sur les produits de consommation courante, dont le carburant, et une hausse des salaires les plus bas.

Jeudi 27 novembre, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, a annoncé une série de mesures pour calmer les esprits. Hausse du minimum vieillesse, de l’allocation adulte handicapé, baisse de la taxe d’habitation pour 80% des foyers… Cependant, le mouvement des gilets jaunes réunionnais est appelé à durer encore : les manifestants s’estiment « peu satisfaits » par les réponses apportées. D’après le site d’information Clicanoo, ils s’engagent à lever les barrages mais iront néanmoins manifester devant les services publics dans les jours qui suivent.

Sophie Maréchal

Auteur·trice