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Les Marseillais qui murmurent à l’oreille du Président

Capture d'écran de l'allocution d'Emmanuel Macron lors de sa présentation du plan "Marseille en grand" le 2 septembre 2021. Source: chaîne Youtube de l’Élysée.

Avec “Marseille en grand”, Emmanuel Macron a durablement associé son nom à la ville. Pour parfaire sa stratégie marseillaise, le président s’est construit un réseau aussi puissant qu’hétéroclite. 

Ils étaient 18 convives à la table de l’Elysée ce mercredi 1er février dernier. Un dîner comme Emmanuel Macron aime en faire, à mi-chemin entre la tradition politique la plus ancestrale et le geste disruptif. 18 Marseillais triés sur le volet, tous plus ou moins proches du Président, chacun à sa manière. Au menu : sole, pâté en croûte et très peu d’élus. Seuls la députée Sabrina Agresti-Roubache (Renaissance) et le vice-président du département Frédéric Collart représentent la classe politique, et pas n’importe laquelle, celle de la majorité. 

A l’image de son Plan “Marseille en Grand”, les invités incarnent à eux seuls toutes les sphères de la société civile marseillaise telle que le chef de l’Etat la perçoit. Rodolphe Saadé, patron de la CMA-CGM et propriétaire de La Provence côtoie ainsi Laurent Choukroun, dirigeant de l’Epopée, tiers-lieu porté sur l’innovation, et Cédric Jimenez, réalisateur de Bac Nord, trinque avec Pierre-Olivier Costa, ancien directeur du cabinet de Brigitte Macron et nouveau président du Mucem fraîchement nommé par décret présidentiel. Par contre, pas l’ombre d’un syndicaliste, représentant de la vie associative ou politique de gauche. 

Le goût des personnalités « atypiques »

“Je pense que ce n’est pas du tout faux de parler de ‘réseau’ du Président estime sans détour Sabrina Agresti-Roubache, et je crois même que ce réseau est bien plus large que ce qu’on croit”. Celle qui n’hésite pas à se considérer comme un maillon essentiel de ce réseau, dit être “en échange quasi permanent” avec Emmanuel Macron. Et pour cause, elle est là depuis le début : “C’est moi qui ait ouvert son plus grand meeting de campagne en 2016. Et vous savez quoi? A l’époque, je ne pensais même pas qu’il gagnerait.” 

Élue députée en 2022 de la 1e circonscription des Bouches-du-Rhône, elle incarne par son parcours atypique un certain esprit propre à la Macronie. Personnalité locale, native de la cité Félix-Pyat, elle est productrice audiovisuelle et “seulement” élue à la Chambre de commerce et d’industrie lorsque Emmanuel Macron la sollicite. Proche du couple présidentiel, elle fait partie avec son mari Jean-Philippe Agresti, alors vice-président de l’Université Aix-Marseille, des convives du dîner organisé le 29 novembre 2016 au chic restaurant La Villa, quelques jours après l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle. 

Le ton est donné : Marseille sera le cœur battant d’une politique de refonte profonde, un laboratoire. Lors de son premier été de Président en 2017, Emmanuel Macron le passe en vacances au Roucas-Blanc, dans la villa du préfet. Il y multiplie les visites où il n’hésite pas à clamer son amour pour l’OM “depuis l’adolescence”, pour Pagnol ou encore IAM. Un choix du cœur qui semble en contradiction avec la couleur politique de la ville. Au 1er tour, le candidat En Marche ! arrive péniblement troisième avec 10,62% des suffrages, loin derrière Jean-Luc Mélenchon (23,23%) et Marine Le Pen (17,01%). Et s’il peut toutefois compter sur quelques députés charismatiques, comme Saïd Ahamada ou dans une moindre mesure Alexandra Louis, c’est par des voies politiques moins traditionnelles qu’Emmanuel Macron compte parvenir à ses fins. 

Opérations séductions

Début 2021 marque un tournant et un coup d’accélérateur dans la conquête de Marseille. Sabrina Roubache-Agresti raconte comment le Président l’a sollicitée sur deux dossiers brûlants lors d’un déjeuner courant février. Le premier concerne la future alliance avec la droite lors des élections régionales à venir: “il fallait s’allier avec Muselier pour empêcher le RN de passer”. A l’époque, rien n’est encore officiellement décidé, mais la question divise Les Républicains. Annoncée dans le JDD par Jean Castex trois mois après, l’alliance est perçue par toute une frange du parti comme une offensive stratégique de Macron : “il teste en PACA ce qu’il veut faire l’année prochaine, avec le soutien de quelques barons de la droite qui ont fait une croix sur LR” s’émeut à l’époque Eric Pauget, député des Alpes-Maritimes. Deux ans après, l’adhésion de Renaud Muselier et d’autres cadres Républicains à Renaissance, il est juste de se demander : que reste-il du parti à Marseille et dans sa région ? Pour Guy Tessier (LR), ancien député, “il y a évidemment eu une opération de charme du côté des élus Républicains, toute opération de débauchage était bonne à prendre pour lui.” 

Conjointement au dossier “Régionales”, le chef de l’Etat confie à celle qui “lui rapporte le bruit de la rue” selon ses mots à elles, ses grandes ambitions pour Marseille. “Il me dit qu’il veut faire de Marseille un laboratoire, grâce à un large plan de désenclavement. Pas seulement des quartiers nords, mais de la ville en général. Pour faire enfin entrer Marseille dans le 21e siècle.” 

Celle qui n’est pas encore une élue de la République lui sert d’intermédiaire, “j’étais celle autour de lui qui connaissait le mieux Marseille”, justifie-t-elle. Le Président la “met en contact” avec son conseiller territoires Jean-Marie Caillaud et sa conseillère culture Rima Abdul Malak. De même, il compte sur ses connexions multiples pour se rapprocher des édiles locaux : Benoît Payan, Martine Vassal et Renaud Muselier. Les cartes sont jouées.

« S’il pouvait faire tomber Marseille de son côté, ce serait forcément un très beau trophée

A quelques semaines d’une future visite présidentielle, il semble y avoir un monde entre cette époque et maintenant. Avec la mise en marche de “Marseille en grand” en septembre 2021, Emmanuel Macron a assis confortablement sa place d’acteur providentiel dans la deuxième ville de France. Si bien qu’il n’hésite pas à faire de l’ingérence locale, comme en décembre dernier lorsqu’il a arbitré selon le magazine Challenges, un litige entre la métropole et la ville à hauteur de 50 millions d’euros. Parallèlement, il a récemment placé des proches dans des postes stratégiques, comme son ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner à la présidence du grand port maritime de Marseille ou encore l’ancien directeur du cabinet de Brigitte Macron, Pierre-Olivier Costa, à la tête du Mucem. 

Marseille, est la deuxième ville de France, s’il pouvait la faire tomber de son côté, ce serait forcément un très beau trophée” lance, amer, Guy Tessier. Ce qui est certain, c’est qu’en six ans, le Président n’a pas seulement fait du futur de Marseille “un devoir de la nation”, il s’est aussi taillé une place de choix sur la scène politique de la ville. Le tout, sans n’y avoir jamais résidé ni effectué de mandat. Un véritable “challenge”, comme il en est friand, d’après ses proches. 

Auteur·trice
Zoé Neboit
Auteur·trice
Léna Thobie-Gorce

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