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Marseille compte ses sans-abris grâce à la nuit de la solidarité

Portrait de Kudife, dame sans-abris rencontrée lors de la nuit de la solidarité

Combien de sans-abris sont présents à Marseille et quels sont leurs besoins ? Pour le savoir la municipalité a décidé de lancer sa première édition de la nuit de la solidarité jeudi 20 janvier.

Kudife soulève un couvercle de bennes à ordures. Ses mains fouillent, poussent des cartons en quête de quelque chose. Il ne fait pas très chaud, ce soir, avenue du Prado. Deux des bénévoles du groupe, Hélène et Barbara, s’approchent. L’une d’entre elles tient un des questionnaires fournis par la mairie à l’occasion de la nuit de la solidarité. Il devrait aider à comptabiliser la jeune dame parmi la population de sans-domicile fixe de Marseille, mais aussi connaître dans quelle situation de précarité elle se trouve exactement. La dernière étude, datant de 2016, estime à 14 063 le nombre de personnes ayant été au moins une fois à la rue cette année-là.

Mais il est difficile à remplir ce bout de papier. Kudife est Albanaise, sa carte d’identité et sa langue l’attestent. On finit par comprendre qu’elle habite vers Noailles, mais dans quelles conditions ? Ni Barbara, ni Hélène n’ont réussi à le savoir.

Vers 17 heures, un jeune homme drapé dans des couvertures n’a pas voulu discuter. Elles n’ont pas osé insister. C’est leur première maraude, alors elles y vont sur la pointe des pieds.

Malgré cette timidité, il leur semblait normal de participer. Une bonne action pour Barbara. Elle assure savoir que « le 115 est tout le temps blindé. Il y a un seul centre d’accueil de jour. Marseille est quand même une des villes les plus pauvres de France et on n’a pas de structures adaptées ». Maud écoute et ajoute que la nuit de la solidarité a été « lancée pour ça, pour avoir un impact concret. On ne changera pas totalement ce qui se passe dans les rues à Marseille, mais ça peut être un bon début ».

Elles patrouillent dans le secteur qu’on leur a attribué, depuis 16 h 30, sous un vent particulièrement glacial.

Il est maintenant 19 h 45. Elles décident de rentrer avec leurs formulaires, à peine remplis, au Centre Municipal d’animation de Castellane, Qg des douze équipes participant dans le secteur. Joël Karoun, un des fonctionnaires responsables de l’organisation, les attends.

Pour le moment, il a récolté 20 questionnaires, « plus de la moitié concerne des personnes étrangères ». Ce petit nombre ne le surprend pas. Le fonctionnaire s’y attendait, car selon lui « les sdf sont plus dans l’hypercentre, vers la Canebière, le Vieux-Port ». Les formulaires doivent remonter à la direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement. « Il y aura un traitement local. Il faut bien qu’on adapte notre politique municipale ».

« Les chiffres ne sont pas gravés dans le marbre » 

Pourtant, « la nuit de la solidarité c’est un outil pour mieux orienter les politiques publiques ». Audrey Garino, adjointe chargée des affaires sociales, de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, n’en démords pas. Même si en tant qu’année bêta, elle ne s’attend pas à ce que les données récoltées soient tout à fait exactes. « Le dispositif n’était pas étendu à toute la ville. Les bénévoles ne sont pas allés dans les endroits privés, les parkings, les squats ou les campements ». Pour autant Audrey Garino met l’accent sur le fait que les « chiffres ne sont pas gravés dans le marbre ». Ceux collectés vont leur servir de base et il y aura une montée progressive des opérations, rendue possible, notamment, grâce à la signature d’une convention entre la ville et l’Etat dans le cadre de la stratégie nationale de la lutte contre la pauvreté, signée en décembre dernier. Elle va « amener 1,7 million d’euros supplémentaires à notre budget », assure-t-elle.

Avant la nuit de la solidarité, en dehors d’un besoin pressant en logement, l’élue savait qu’il fallait davantage de douche, de bagagerie, une formation qui permettrait aux travailleurs sociaux de se spécialiser dans la prise en charge des sans-abris étrangers, comme ces derniers « possèdent d’autres droits ».

Un coup d’épée dans l’eau pour Irène Laugier, responsable des maraudes pour La Croix Rouge Marseille. « S’ils voulaient des chiffres on pouvait leur en donner », assène cette bénévole depuis plus de 18 ans. Elle expose qu’en 2021, à raison de 6 maraudes par semaine, ils ont croisé 7 000 personnes sur le territoire marseillais. De même, « les besoins des sans-abris nous on les connaît. Ils ont besoin de logements et de travail », assure-telle. En conséquence de quoi aucun membre de ses équipes n’a participé à l’événement. « Ils n’en voient pas l’utilité. C’est la même chose pour le Secours Catholique, avec qui je suis en contact ».

« ça doit faire un électrochoc. Il y a trop de gens dans la rue »

Malgré tout, ces données, qui paraîtront fin mars, devraient surtout aider à savoir s’il ne faudrait pas cibler un autre public, qui pourrait être les femmes. « Le rapport de 2019 du projet ASSAB (Accès aux soins des personnes sans-abris) l’indique. Parmi cette population, elles sont passées de 14 % en 2011 à 18 % en 2019 », assure- Florent Houdmon, directeur de l’agence régionale PACA de la fondation Abbé Pierre.

La situation des familles, tout comme des enfants dans les rues sont comparables. En 2016, les mineurs étaient 2 209 à être recensés par le projet ASSAB. Mais ces données sont anciennes. Elles ont, selon lui, un autre défaut : « elles touchent les gens qui s’adressent aux structures d’accueil. La nuit de la solidarité intervient en comptant le public marginalisé ». Florent Houdmon attend donc le résultat des analyses, devant paraître début mars. Il souhaite que le nombre de place en logement d’urgence soient changées en nombre et en qualité.

Il aurait aussi aimé qu’un travail soit fait sur les squats, « loin d’être un phénomène marginal à Marseille. On a partagé avec l’Etat à ce sujet ».

Pour autant, il estime que les deux objectifs principaux de la nuit de la solidarité, recensement et sensibilisation, sont atteints. Avec les 800 à 900 bénévoles qui ont participé « ça doit faire un électrochoc. Il y a trop de gens dans la rue ». Point de vue que partage Irène Laugier. « S’ils ne veulent pas d’sdf dans les rues faut leur trouver un toit ».

Auteur·trice
Margot Fournie

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