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Marseille : peut-on sauver la calanque de Cortiou après deux siècles de pollution ?

Le rejet de Cortiou en novembre 2022. Crédit : François Scorsonelli.

La calanque de Cortiou et sa station d’épuration constituent le point de rejet des égouts de Marseille depuis le 19e siècle. Une expérimentation de récifs artificiels menée depuis 2017 aurait permis la réapparition de la vie sous-marine. Mais pour les habitués du secteur, plongeurs et chercheurs, la vie naturelle ne saurait réapparaître dans la calanque après deux siècles de destruction. On vous explique dans quel état se trouve la calanque aujourd’hui.

“Tout est parti d’une boutade, je partais en plongée avec des amis et on a parié que si on mettait des plaques de béton en-dessous du rejet, quelques mois plus tard il y aurait des poissons. Six mois plus tard, il y avait de nouveau de la vie.” Pierre Boissery est expert en restauration écologique à l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. Il a participé au projet Rexcor, initié en 2017 par le Parc national des calanques à Marseille. L’expérimentation menée avait pour objectif d’accélérer le retour à la vie sous l’eau en immergeant 36 récifs artificiels censés reconstituer l’habitat de poissons et crustacés. 

La vie sous-marine mord à l’hameçon 

Pour Pierre Boissery, cette expérimentation relevait de la plaisanterie tant le défi était grand. Mais selon lui, l’installation de la station d’épuration en 1987 a permis d’installer un terreau fertile à la vie sous-marine à proximité du rejet. “Très rapidement, on a vu que la vie pouvait revenir au plus proche du rejet. Les plaques de béton installées ont été vite colonisées par des poissons qui se sont alimentés et qui se sont reproduits dans cet environnement”, explique-t-il. 

Les premiers résultats du projet Rexcor :

“Les herbiers de Posidonie ont disparu”

Pourtant, les derniers résultats donnés par les chercheurs de l’expérimentation ne sont pas aussi convaincants. Florian Holon d’Andromède Océanologie a réalisé une expertise en 2019, soit deux ans après l’installation des récifs artificiels. Pour le doctorant en écologie marine, l’enthousiasme des premiers résultats ne doit pas masquer une situation catastrophique : “Il y a bel et bien de la fréquentation, une cinquantaine d’espèces ont été observées, même le mérou gris. Mais nos décomptes montrent seulement le repeuplement de populations juvéniles. On ne peut pas dire si oui ou non les récifs permettent de faire revenir la vie à Cortiou.” 

Documents : une calanque historiquement dégradée  

Pour mieux comprendre l’état actuel de la calanque de Cortiou, il faut remonter son histoire. Retour sur deux siècles de pollution alors que la ville de Marseille voyait le jour.

De son côté, Pierre Boissery reconnaît la disparition de certaines espèces : “Malgré cette expérimentation, on ne pourra pas réparer les dommages qui ont été faits pendant deux siècles. Les herbiers de Posidonie qui ont disparu ne se réinstalleront pas sous le rejet”, confesse Pierre Boissery.

Carte : comprendre le réseau d’épuration construit sous la ville et sa dégradation sur le milieu marin

“Cortiou est un égout à ciel ouvert”

A Callelongue, François Scorsonelli et Jean-Pierre Parcy sont adhérents de l’association de plongée Marseille Sports Loisirs Culture. Ils ont commencé à plonger dans la rade de Marseille il y a plus de 60 ans mais ne fréquentent plus la zone de Cortiou depuis longtemps. Ils ne croient pas à l’expérimentation de récifs artificiels : “Les calanques, on les a vues évoluer, depuis notre terrain de jeu jusqu’à devenir un Parc national”, se souvient Jean-Pierre. 

Les deux passionnés de plongée sont clairs : “Cortiou, c’est le centre de gravité des calanques mais c’est un égout à ciel ouvert. S’il faut, on veut bien plonger dans le Vieux-Port mais près du rejet, on n’ira jamais.” 

Vidéo : embarquez avec François et Jean-Pierre pour découvrir la calanque de Cortiou qu’ils appellent “l’égout de Marseille.” 

Malgré un système d'épuration modernisé en 2010, les deux plongeurs pensent que l’eau qui sort du rejet est toujours polluante : “Le centre de traitement des boues de la Cayolle n’enlève que ce qui est solide. Mais la pollution la plus dangereuse, c’est celle qu’on ne voit pas. Ce n’est pas un mystère si tout le périmètre autour de la calanque est une zone de non-prélèvement, l’eau n’est pas potable”

Le Parc national des calanques, qui s’occupe de protéger le site naturel, confirme que la pêche n’est pas autorisée à cet endroit-là : “L’émissaire explique en grande partie cette interdiction, des poissons pêchés au niveau du rejet ont été jugés impropres à la consommation”, nous confie le service communication du Parc.

Le Parc national des calanques tente un coup de com’ 

En octobre dernier, le Parc national des calanques a publié une série-documentaire intitulée “Au bout du tuyau, la mer”. Nous l’avons regardée pour mieux comprendre quelles sont leurs actions. Le documentaire retrace l’histoire de la calanque de Cortiou et de ses évolutions pour améliorer la qualité du rejet du 19e siècle à nos jours. 

Alors que les résultats du projet Rexcor étaient initialement prévus pour l’année 2022, aucune information donnée dans le documentaire ne concerne le projet. Quant aux résultats du projet Rexcor, pourtant connus des experts que nous avons pu contacter, eux non plus ne figurent pas dans le documentaire.  

Pour sauver Cortiou, le Parc mise sur un projet de tuyau plus long, qui déboucherait en profondeur, à 7 kilomètres au large de la calanque. Mais pour les habitués du secteur comme François Scorsonelli, “éloigner le problème, c’est déjà ce qu’on a fait avec la station d’épuration dans les calanques, il faut réfléchir autrement.” 

Du côté des chercheurs comme des plongeurs, le constat est unanime : le temps n’est plus aux solutions, la dégradation causée à la calanque est telle qu’il est maintenant difficile de rattraper le temps perdu.

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Auteur·trice
Auteur·trice
Mathilde Duranton

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