LE 13 INFORMÉ

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« C’est toujours mieux chez les autres » : colère et inquiétude des riverains avant l’ouverture d’une « salle de shoot » à Marseille

110 boulevard de la Libération 13004 Marseille, local de la mairie qui accueille de multiples formations, lieu de la future salle de shoot – ©Baya Drissi

L’annonce n’est pas passée inaperçue. Le 13 octobre, la mairie de Marseille a annoncé le lieu de la future salle de consommation à moindre risque (SCMR), appelée « salle de shoot » par les opposants au projet. L’emplacement de cette structure qui devrait accueillir à partir de 2024 des personnes toxicomanes pour les accompagner dans leur sevrage, surprend les habitants du 4ème arrondissement. Et pour cause, il se situe à moins de 300 mètres d’établissements scolaires. À la sortie des écoles entre colère et inquiétude, les habitants sont partagés sur la question. 

L’odeur de peinture est encore forte au 110 Boulevard de la Libération. La couleur marron de la porte de l’ancienne chapelle recouvre désormais les tags de riverains en colères. « Non à la salle de shoot », lisait-on quelques jours auparavant encore.

« J’avoue que je suis assez choquée de cette décision et très inquiète pour l’avenir du quartier », explique Lucile, 33 ans, qui a appris la nouvelle par des amis. Près de la crèche les Mirabelles à 170 mètres de la future salle, Valence, mère de 3 enfants, craint un quotidien chamboulé : « Ce qui me dérange, c’est une fois qu’ils ont terminé de consommer. J’imagine qu’ils sortent dans la rue, zoner e j’ai un enfant en crèche à une rue de la salle […] Pour un retour le soir, est-ce qu’on peut se balader tranquillement ? Moi ça m’embête vraiment ». À deux pas, Yacine tient son commerce : « ça va nuire à mes activités, il faut des salles en dehors de Marseille ! ».

Au fil des rues arpentées, si certains reconnaissent l’importance du lieu, vivre à côté de cette salle de consommation à moindre risque (SCMR), dont le but est de répondre à un objectif sanitaire mais aussi social en absorbant une partie des consommations qui ont lieu dans l’espace public, laisse perplexe. Comme Laurent, habitant du quartier depuis 10 ans : « Sur le principe, je trouve ça bien, mais personne n’est heureux d’avoir une salle de shoot à côté de chez soi. La peur d’insécurité par rapport aux enfants est fondée. Je pense que c’est toujours mieux chez les autres. ». Certains riverains confient ne pas vouloir en parler autour d’eux, pour éviter la polémique.

« Une réalité de prévention et de nécessité »

Face aux critiques, interrogée par France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur le 17 octobre, Michèle Rubirola la première adjointe à la mairie de Marseille en charge de la santé, assure que « ce lieu est indispensable et ne perturbera pas plus le quartier ». La salle devrait accueillir une centaine de personnes par jour. Contactée par la même rédaction, pour l’association ASUD Mars Say Yeah qui porte le projet, « c’est un outil supplémentaire qui n’existe pas et qui vient se rajouter à ce qui existe déjà dans la ville comme le bus 31/32 ». Le bus 3132 est un camion blanc qui se déplace dans la ville pour prendre en charge de personnes dépendantes, sans rendez-vous, gratuitement et anonymement. Le projet est soutenu par un local fixe, situé dans le 3ème arrondissement.

Jean*, parent, réside dans le quartier depuis 27 ans et ne partage pas ces critiques. Il a travaillé 12 ans dans des associations luttant contre la toxicomanie, en accompagnant les parents des personnes addicts. « Je suis très content et avant d’avoir peur il faut voir ce qu’il va se passer. Il y a une réalité de prévention et de nécessité. Avec la gentrification, on a envie d’avoir des quartiers propres avec des gens calmes, mais ce n’est pas la réalité de Marseille. Il y a plein de gens en difficulté, il y a plein de toxicomanes. Il faut s’en occuper et il y a la place pour ces gens-là. »

Strasbourg et Paris : villes pionnières aux résultats pluriels

En 2016 à Strasbourg et Paris deux structures test ont vu le jour dans le cadre d’expérimentations insufflées par le gouvernement. Une évaluation scientifique publiée par l’Inserm en 2021 rend compte des effets directs observés sur un quartier parisien après l’installation de la salle. Dans un périmètre proche de la structure, autrefois une zone de grandes consommations, les injections sur la voie publique divisées par 2,3. En dix ans, les deux villes d’expérimentations ont évité 11 millions d’euros de frais médicaux engendrés par l’usage des drogues, selon ce rapport. Selon une autre étude publiée dans la revue Addictions en septembre dernier par des scientifiques de l’Inserm, du CNRS et de l’EHESS, ces salles réduisent de 90 % les risques de transmission du VIH et de l’hépatite C liés aux partages de seringues.

À Marseille, ne manque que la validation du projet par le ministère de la Santé pour que l’expérimentation y débute à son tour.

Jean* anonymisé

Baya Drissi

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