Menacés d’expulsion, 25 mineurs étrangers veulent vivre normalement

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Après deux expulsions en un mois, dont une très médiatisée en septembre suite à la visite du ministre des Solidarités, les vingt-cinq jeunes étrangers du collectif 113 se sont installés rue Breteuil, à Marseille. Ils tentent de vivre normalement en attendant le jugement qui pourrait confirmer leur minorité.

170 rue Breteuil, Marseille. Hélène rentre de sa semaine de vacances. Lorsqu’elle avait quitté le Collectif 113, la bénévole venait d’installer vingt-cinq mineurs étrangers dans ce nouveau squat. Un bâtiment abandonné depuis deux ans, qui accueillait des femmes isolées. “Tout était déjà prêt pour l’accueil de personnes”, ajoute Hélène qui raconte avoir ouvert l’endroit en passant par une lucarne ouverte, à plus de dix mètres du sol.

A l’intérieur, les murs sont tagués et défraîchis. Les serrures n’ont pas de clé, peu d’interrupteurs fonctionnent et une odeur piquante flotte dans l’atmosphère. Sur trois étages, le bâtiment comporte “une dizaine de chambres, plusieurs points d’eau, une salle commune et une cuisine”. Hélène espère ramener bientôt un micro-onde “pour les soirées pizza”. Lors de notre visite, ce sont les vacances, les jeunes ayant trouvé un internat pour l’école sont revenus dans le groupe. Ismaël est allongé sur son lit, un matelas posé à même le sol. Il partage sa chambre avec trois autres jeunes. “Chacun a un coin de la pièce.” Il aimerait plus d’intimité. Au premier étage, un escalier métallique donne accès au toit voisin qui sert d’immense terrasse. À l’arrière de la bâtisse, un jardin longe le Parc des Sœurs franciscaines. Hélène prévoit déjà “d’y installer un potager” et rendre l’endroit le plus vivable possible en attendant la régularisation des jeunes.

Trois autres jeunes dorment dans la chambre d’Ismaël. Lui vient de la Côte d’Ivoire, il souhaiterait plus d’indépendance. ©RENGARD

Deux expulsions en un mois

Avec Jeanne et Isabelle, elles forment le trio de bénévoles du Collectif 113, nommé ainsi en référence au bâtiment que le groupe a occupé pendant huit mois, de février à septembre, sur la Canebière. “Ils n’étaient qu’une dizaine de mineurs au début. On a vite été rejoints par quinze jeunes supplémentaires.” C’est notamment le bouche-à-oreille qui a amené Ismaël à intégrer le groupe. Début septembre, les bénévoles apprennent qu’ils ne tarderont plus à être délogés du 113 Canebière. “C’était le pire moment. Les jeunes venaient de faire leur rentrée scolaire, ils retrouvaient une certaine stabilité.” Ensemble, ils décident de planter leurs tentes dans le kiosque voisin le 18 septembre, une semaine avant leur expulsion. “Ça a permis de bien médiatiser et visibiliser leur situation.” Au bout d’une semaine d’occupation, “on était épuisés”. Et alors qu’un logement rue Saint-Ferréol était déjà disponible, “les jeunes ont insisté pour rester sur place et continuer à échanger avec tout le monde”.

Lors d’une visite à Marseille du ministre des Solidarités Jean-Christophe Combe, courant septembre, les bénévoles se procurent son parcours et l’accostent dans un bar, accompagné d’une délégation de cinq jeunes. Ils lui remettent une lettre faisant le point sur la situation et échangent “pendant dix minutes”. Le ministre décide d’une réunion le jour-même à la préfecture. Ils participent à deux rendez-vous au total, qui révèlent surtout les fractures internes.

La mairie veut nous aider à trouver des bâtiments, mais le département s’y oppose fermement.

Malgré toutes les difficultés, Hélène parle d’une “expérience de vie très riche. En tant que bénévoles, on doit leur donner les moyens d’être autonomes.” Elle se rappelle d’une discussion au moment de quitter le kiosque. “Ça faisait une semaine qu’on occupait les lieux. Nous étions fatigués et avions obtenu ce qu’on souhaitait. Mais les jeunes voulaient rester et continuer à se montrer. On a dû bien argumenter car ils ne nous suivent plus les yeux fermés. Ça nous a réjoui.

Prouver sa minorité

Le Collectif 113 s’est installé au 170 rue Breteuil courant octobre, à la suite de deux expulsions. ©RENGARD

Pour eux, la priorité est de prouver la minorité des jeunes. À leur arrivée en France, ils passent une évaluation de deux semaines, “complètement à charge” selon les bénévoles. “Pendant l’entretien, ils reviennent sur leur périple, alors que ça n’a aucun rapport avec l’âge. À la moindre incohérence, ils concluent que le jeune ment et, donc, qu’il est majeur. Après des mois, voire des années de voyages depuis l’Afrique de l’Ouest, on peut comprendre que toutes les dates ne coïncident pas.” Elles plaident pour une présomption de minorité.

Pour l’instant, celle-ci a été contestée par le département. Les recours sont déposés. Les jeunes vivent en espérant que l’avocat appelle pour les confier aux services de l’aide sociale à l’enfance. “Pendant toutes ces procédures, ces jeunes n’ont pas d’état civil et nulle part où aller.” Si la fondation Abbé Pierre aide financièrement pour importer les papiers, “on se frotte aux refus de nombreuses organisations qui ne s’y plient pas, même sous la demande du juge.”

Peu importe leur âge finalement, soupire Hélène. Ce sont des jeunes qui ont besoin d’aide”. Les bénévoles du collectif, dont deux sont infirmières, “veillent à leur suivi de santé”. Pendant notre discussion, Hélène est interrompue par Cheick et Yakouba. Le premier, un jeune adolescent, se plaint de maux de tête et d’insomnies. Plus âgé, le second vient du Soudan. Hélène s’inquiète de l’évolution de ses blessures, profondes, à l’index gauche et au tendon d’Achille. S’il assure se les être faites le même jour “accidentellement” dans le logement, Hélène n’est pas convaincue. “C’est d’un psy dont tu aurais besoin.

L’école c’est leur obsession

Au quotidien, les bénévoles s’occupent de “ramener de la bouffe, des fringues.” Ils cherchent à les intégrer. “L’école, c’est leur obsession. Ils veulent apprendre, se former, travailler et gagner de l’argent.”. Cheick a passé le test Casnav – pour déterminer son niveau scolaire et orienter son placement – en mai dernier. Aucune offre ne lui a encore été proposée.

Expulsés de leur bâtiment rue Saint-Ferréol, les membres du collectif 113 comptent passer la trêve hivernale rue Breteuil. Au propriétaire, le directeur d’une école catholique dans le secteur, ils souhaitent “proposer un projet pour rester ici”. Les vingt-cinq mineurs croisent les doigts. Car leur nouvelle vie est déjà en train de commencer à Marseille. Yakouba est heureux d’avoir trouvé un stage dans une usine de soudure.

Auteur·trice
Louis Rengard

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