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Pollution sonore en mer : toujours pas de réglementation contraignante

Crédit : Michał de Pixabay

Malgré une prise de conscience dans les années 80 de l’impact nocif du bruit humain sur les espèces marines, une recherche scientifique qui prend en considération ces enjeux et des initiatives qui se multiplient, en 2022 la pollution sonore sous-marine reste peu réglementée.

« La pollution sonore est une des causes qui pourrait mener à un ‘désert bleu’, autrement dit des mers et des océans sans vie », explique Damien Demoor, ingénieur spécialisé dans les questions d’acoustique sous-marine.

Si pour le grand public, la pollution sonore est encore un sujet parfois méconnu, les scientifiques et les  défenseurs de l’écologie s’en sont saisis depuis longtemps. Car les bruits générés par l’activité humaine – et l’augmentation constante de ces bruits –  nuisent aux espèces sous-marines, en les empêchant notamment de communiquer,  en provoquant des échouages, mais aussi en les blessant parfois directement.

Qu’est-ce que la pollution sonore ?

La pollution sonore sous-marine est un ensemble de sons perturbant et menaçant le milieu sous-marin.

Ces bruits sont dits “anthropogéniques”, puisqu’ils sont liés aux activités humaines. Aussi bien les activités industrielles et commerciales (les activités portuaires, la prospection gazière, l’éolien offshore, les forages) que le trafic maritime commercial et la navigation de plaisance les produisent.

Si le problème n’est pas nouveau, il s’aggrave : les niveaux sonores en mer sont en constante augmentation. Le bruit basse fréquence généré par le trafic maritime a ainsi été multiplié par 32 au cours des 50 dernières années, selon une étude publiée dans la revue scientifique Science. L’augmentation du transit maritime et la multiplication des navires commerciaux sont principalement en cause.

Et ce bruit constant fait du mal aux espèces sous-marines. La pollution sonore impacte toute la faune marine, aussi  bien les mammifères que  les poissons, les tortues, que les invertébrés comme les oursins et les étoiles de mer ou encore les céphalopodes comme les seiches. Ils dépendent tous de la perception des ondes sonores, véritable repère dans un habitat sous-marin obscur.

Le bruit bloque les communications, mais il cause aussi  l’augmentation du  niveau de stress,  la désorientation de certains mammifères, et peut même avoir un impact sur leurs capacités à s’alimenter ou à se reproduire.

L’équivalent du bruit d’une machine à laver

Le milieu sous-marin est en fait rempli de bruits météorologiques et de sons liés à la communication des animaux, qui forment le paysage sonore naturel. Auquel il faut rajouter une multitude de sons humains. « 55 décibels, soit l’équivalent du bruit d’une machine à laver. C’est le corridor acoustique que l’on a en général en mer Méditerranée » explique Michel Franck, océanologue et président de l’association Terre Marine, qui vise à sensibiliser sur la protection du milieu sous-marin.

C’est peut-être parce qu’il n’est pas directement perceptible par les humains que ce bruit, pourtant nocif, n’est pas encadré. Il ne cesse pourtant d’augmenter, à tel point que certains chercheurs estiment que sous l’eau, le bruit ambiant serait généralisé. Et ce, jusqu’aux portions de mers et d’océans protégés. Selon l’ONG Bruit Parif, dans un rapport sur le bruit de 2019 ,« il y a tout lieu d’estimer que les aires marines protégées[…] ne sont pas épargnées par les nuisances sonores d’origine anthropique. »

Et toutes les pratiques en mer, depuis le transit des porte-conteneurs jusqu’aux activités des plaisanciers, ont des impacts sonores. « Allez expliquer à un jeune, qui s’éclate sur son jet-ski, que ça dérange les poissons… », continue Michel Franck.

L’association Terre Marine défend pour sa part une « navigation à impact limité » : « Même si la meilleure navigation c’est pas de navigation du tout ! » s’exclame l’océanologue.

Découvrez quelques sons sous-marins :

Une longue route vers l’encadrement de la pollution sonore

La première mention du son comme pollution potentielle pour les écosystèmes marins remonte aux années 80.

Découvrir les étapes clés de la régulation du bruit sous-marin :

 

Depuis, les textes et les accords internationaux se sont multipliés, comme le regrette Noé Swynghedauw, chargé de campagnes « conservation marine » au sein de l’ONG IFAW, le  Fonds international pour la protection des animaux. « Ce sont seulement des mesures prescriptives : elles n’ont aucune valeur contraignante ».

Le manque de données scientifiques sur le bruit anthropique sous-marin et ses impacts a été désigné comme un frein à l’avancée de la législation. Ainsi, dans son rapport d’information sur la pollution des mers de 2021, l’Assemblée Nationale relaie la « nécessité d’améliorer avant tout la connaissance de ce type de pollution, tant sont complexes la question des niveaux de bruit dans le milieu marin et celle du rôle joué par les différentes activités incriminées. »

Une posture critiquée par d’autres acteurs internationaux, comme la Convention pour la Conservation des espèces migratrices de l’ONU, qui affirmait dès 2010 que « le manque d’une complète certitude scientifique des effets nocifs ne devrait pas être utilisé pour remettre à plus tard des mesures pour empêcher ou réduire au minimum de tels effets. »

Puis, la complexité à faire collaborer les états pour encadrer  les eaux internationales a également ralenti le processus. Avant 2018, il n’existait même pas de normes sonores communes à tous les pays pour le calcul du bruit sous-marin.

Enfin, avant de pouvoir encadrer la pollution sonore sous-marine, encore fallait il se doter d’outils pour la comprendre – et limiter son impact sans bouleverser l’économie maritime internationale.

Réduire, compenser ou éviter

Il n’y pas de solutions simples, ou magiques pour apporter des solutions au problème de la nocivité du bruit anthropique. Car comme le rappelle Michel Franck,  le commerce maritime et la production d’énergie en mer sont un rouage essentiel de l’économie. « Lors de la crise sanitaire, pendant les confinements, on a pu observer des niveaux très bas, acceptables. Juste du bruit naturel, qui avoisinait les 10 ou 20 décibels. Mais ce silence serait complètement improbable au niveau économique. » 

Pour Damien Demoor, face à la pollution sonore sous-marine, trois stratégies sont possibles : « La réduire, la compenser, ou l’éviter ». Ce sont les trois même axes que ceux proposés par le Ministère de la transition écologique et solidaire dans ses Préconisations pour limiter les impacts des émissions acoustiques en mer d’origine anthropique sur la faune marine.

Jusqu’ici, le seul impératif est la réalisation d’une étude d’impact qui inclut la dimension sonore des nuisances potentielles. Elles permettent de recommander aux entreprises d’adapter la planification des travaux, en évitant certaines zones ou certaines périodes temporelles comme celles de reproduction  – voir de les suspendre si les experts de l’Ifremer repèrent des espèces en danger.

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