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PORTRAIT DE QUARTIER. La Cabucelle a toujours l’esprit d’une cité ouvrière, les emplois en moins

Yves Montand est représenté sur la façade de logements ouvriers réhabilités | Zoé Cottin

Ancien poumon industriel du 15è arrondissement de Marseille, le quartier de la Cabucelle est resté inchangé dans l’esprit mais s’est paupérisé.

Rue de Lyon, artère principale de la Cabucelle. Des odeurs de bonbons chimiques. Et dans la rue adjacente, des motos qui roulent à toute berzingue. Les pieds dans les herbes folles, en bleu de travail et cigarette à la main, Yves Montand nous regarde avec un air de fierté, figé sur une fresque à la gloire des ouvriers. L’image entre dans le cadre d’un projet de réhabilitation du Logis Méditerranée, ancienne résidence de travailleurs. Pour le quartier au passé industriel, c’est tout un symbole que de revendiquer cet héritage car le temps où l’usine faisait vivre la Cabucelle est révolu. Le quartier a vu ses ouvriers partir et la misère s’installer. Sur les nombreux terrains vagues, des armatures d’usines ou des entrepôts laissés à l’abandon témoignent de ce passé.

La vie socio-économique de la Cabucelle s’est construite autour de la production d’alumine, d’huileries ou de la réparation navale, mais surtout, de la raffinerie de sucre. Pour faire tourner l’industrie, dès le début du XXème siècle, le quartier a accueilli différentes vagues d’immigration : les Kabyles en 1900, les Arméniens après le génocide de 1915, les Espagnols et Portugais à partir des années 1960.

« L’usine tenait le quartier, les ouvriers étaient bien payés et ils avaient les comités d’entreprise. »

Cette époque a brutalement pris fin en 2019. Un plan social a réduit les effectifs de l’usine Saint-Louis, dernière rescapée de ce passé industriel. Quand elle a ouvert, ils étaient 3000 employés. Ils ne sont plus que 6. L’exploitation de 11 hectares est vouée à devenir un centre de tri postal.

Au grand désespoir de Pierre : « L’usine tenait le quartier, les ouvriers étaient bien payés et ils avaient les comités d’entreprise. » Cet ancien paysagiste a passé 47 ans de sa vie à la Cabucelle, il en est comme la mémoire vivante. Encarté à la CGT, il avait milité contre le plan social mais se résout désormais : « Maintenant il y a beaucoup d’abstention dans le quartier. » Et pas mal de vide.

« Il n’y a rien à la Cabucelle » selon un homme devant le tabac O’ Café Sucré. D’après lui, le bar est le seul endroit de partage. Ici, on vient boire des coups, jouer au bingo et se charrier. Pour Nassim, le gérant de l’enseigne : « Il suffit que ça ferme et il n’y aura vraiment plus de vie. » Il en a déjà fait l’expérience. Avant, il tenait un autre bar mais a du suspendre son activité à cause de problèmes d’inondations. Dans les six mois de clôture, les gens ont arrêté de se retrouver.

Manque d’attractivité du territoire

La solitude est pour certains la raison pour laquelle ils ont choisi de s’installer ici. Nano a 51 ans. Traumatisé par ses années dans la légion étrangère, il a voulu vivre dans le quartier « parce qu’il est désert. » Pour d’autres au contraire, la Cabucelle est l’endroit où ils se sont constitués une famille de cœur, comme Thomas, préparateur en pharmacie : « Le soir je suis censé rentrer à 19h mais à minuit je suis encore au comptoir. Regardez autour comme c’est familial.»

De famille pourtant, personne n’en a vraiment au bar. Les habitués qui y passent leur matinée quand ils travaillent la nuit, et leur soirée quand ils travaillent le jour, sont pour la plupart célibataires et sans enfant. Étonnant, car dans le quartier, la proportion de personnes seules est plus faible que sur l’ensemble de la commune. Selon l’INSEE, 32 % de personnes sont célibataires à la Cabucelle pour 40 % sur l’ensemble de Marseille. Mais parmi les 1880 personnes seules, 1020 sont des hommes.

Les habitués du bar justifient cela par un départ des femmes et leur refus de se mettre en couple avec des dealers. D’ailleurs, seule une femme poussera la porte du bar, Sandra, qui demande à être conduite en centre-ville. Le quartier en est un peu coupé.

Il est accessible en métro depuis le centre-ville et bordé par un grand axe routier, l’A55. Pourtant, la Cabucelle reste un microcosme dont les habitants sortent peu. Thomas assiste souvent à des matches au Vélodrome mais il assure : « Certains ne sont pas allés au Vieux-Port depuis un an. Tout est fait pour que l’on soit isolé. »

Le quartier a donc développé une économie interne et de proximité, dont le symbole est le marché aux puces. De l’alimentaire au vêtement en passant par le high-tech, les habitants vendent tous les jours leurs biens à la sauvette. « Ici franchement ça vit, il y a même des gens qui viennent de Vitrolles pour acheter » selon Karim, 41 ans, médiateur social. Cette économie est pourtant loin de garantir une stabilité socioprofessionnelle. En 2016, selon l’INSEE, 21 % des habitants de la Cabucelle étaient demandeurs d’emploi de longue durée. Avant, la plupart de ceux qui y habitaient y travaillaient.

Richesse multiculturelle

Mais les anciens ouvriers ne sont généralement plus là. Malgré la survivance de l’église arménienne, beaucoup d’Arméniens sont partis. « Généralement ceux qui arrivaient de l’immigration, s’ils étaient très motivés, réussissaient vite à avoir une situation alors ceux qui restent sont souvent les plus pauvres. » avance Pierre. Le loyer à la Cabucelle est en effet plus accessible que dans d’autres quartiers de Marseille. Le prix du logement au m² est d’environ 1600 euros, moitié moins qu’en centre-ville.

« Maintenant les commerces, on le sait, c’est du blanchiment d’argent lié au trafic de drogue »

Malgré l’exode des anciens ouvriers, la population étrangère est toujours présente dans le quartier. Elle représente 20 % des habitants selon l’INSEE. Les anciennes maisons ouvrières côtoient les logements d’accueil pour réfugiés. Parfois les difficultés de la cohabitation se ressentent. Croisé au détour d’une rue, un ancien ouvrier né en Algérie s’emporte : « Croyez-moi on a travaillé dur, nous. Moi je voulais pas travailler dans l’argent sale, contrairement à ceux qui arrivent maintenant. » Pierre explique : « Maintenant les commerces, on le sait, c’est du blanchiment d’argent lié au trafic de drogue ».

Beaucoup de ses voisins partent aussi en raison des problèmes que peuvent causer les gitans. Les cultures ne sont pourtant pas sectorisées. Sur le boulevard Viala, sont regroupés l’école publique de la Cabucelle, le collège catholique Saint-Joseph, le collège/lycée musulman Ibn Khaldoun et la mosquée Mariam. À quelques rues de là se trouve l’église Saint-Trophime que Yanis, Younes et Serena, élèves du collège catholique, sont venus visiter. Comme les trois quarts de leurs camarades de classe, ils sont musulmans.

L’église Saint-Trophime à la Cabucelle est tenue par Maria et Antoine, deux septuagénaires qui vivent juste à côté. | Zoé Cottin

Leur professeur, Claire, défend l’intérêt de les ouvrir à la religion catholique : « La théologie est l’occasion de mettre en parallèle leur propre religion à la religion catholique. »

Impulser des initiatives

Aux yeux de Pierre, ce qui reste le plus représentatif de la Cabucelle, c’est « le jeu de boules, le seul endroit où il y a de la mixité, des musulmans, des maghrébins et des anciens », dans le Parc François Billoux.

« Un parc à seringues » selon le gérant du bar O’sucré. Mais pour Pierre, c’est surtout une victoire : « On a manifesté pour que ce soit un jardin public car ils voulaient y faire construire des logements à la base. » Maintenant, la mairie des 15 et 16e, installée à l’entrée du parc, y organise des événements. L’été, il y a des guinguettes entre les arbres ou des projections de films dans le théâtre en plein air.

De nombreuses autres initiatives sont mises en place pour que grandir à la Cabucelle ne soit pas un frein à l’insertion professionnelle. Selon l’INSEE, plus du tiers de la population du quartier a moins de 25 ans. Alors, par exemple, le lycée professionnel la Cabucelle propose une triple formation aux métiers de l’artisanat, de la menuiserie et de la mécanique. Mais surtout, il a ouvert une classe de remobilisation scolaire ainsi qu’une classe d’accueil de nouveaux arrivants en langue étrangère.

Si la Cabucelle reste marquée par les conséquences de l’ère industrielle, elle n’a peut-être pas encore dévoilé toutes ses graines de talent… Dans le café O Sucré, l’un des habitués que l’on surnomme « la Honda » a un goût pour le rap. Il plaisante : « Attendez avant de m’afficher sur les réseaux sociaux parce que si j’entre dans le game, ils vont tous avoir peur. » Qui sait ?

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Zoé Cottin

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