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Publicité lumineuse : à Marseille, l’interdiction disjoncte

Publicité lumineuse

On compte 14 de ces panneaux lumineux JCDecaux sur la Canebière. En restant allumés toute la nuit, ils ne respectent pas le règlement local. @Louis Rengard

À Marseille, les enseignes des commerces et les panneaux publicitaires doivent être éteints la nuit. Ces règles sont loin d’être totalement respectées. Les associations écologiques accusent la mairie de parler beaucoup mais d’agir peu.

Mars 2023, 1h30. Le centre-ville de Marseille est presque désert. La plupart des commerces sont fermés depuis plus de cinq heures. Beaucoup d’entre eux ont pourtant laissé leurs enseignes allumées. Des images passent sur quelques écrans LCD. De la rue, on aperçoit des vitrines, voire des intérieurs, encore éclairés. Toutes ces enseignes ne respectent pas la loi. Le décret du 7 octobre 2022, impose l’extinction totale de ces publicités entre 1 h et 6 h du matin si elles sont “visibles depuis la voie publique”. Les commerces risquent une amende de 1500 euros par publicité.

Le sujet dérange la plupart des commerçants : rares sont ceux à bien vouloir parler. L’un d’eux plaide la maladresse : “Avant il y avait un minuteur qui l’éteignait automatiquement, mais il ne marche plus. Du coup il faut l’éteindre manuellement et des fois j’oublie.” Une autre regrette de “ne pas avoir la main sur tout”. L’intérieur de sa boutique reste allumé “toute la nuit et tous les jours”. Chaque soir, elle appuie sur un interrupteur qui n’éteint que les lampes principales. Toutes les étagères restent éclairées. “C’est de la consommation d’énergie inutile” avoue-t-elle, mais il faudrait “voir avec le siège pour en savoir plus”. Celui-ci ne répond pas. Dans un autre commerce rue Saint-Ferréol, un commerçant constate que “les gens fuient le centre-ville pour aller dans les centres commerciaux. Ça nous aiderait pas [d’être davantage contraint]”. Sans donner de chiffre, il juge sa consommation de nuit “négligeable”. Son enseigne reste allumée toute la nuit. Aucun de ces commerçants n’a jamais eu d’amende à payer.

Sur la Canebière, les nombreux panneaux publicitaires lumineux, proposés par JCDecaux, restent aussi allumés toute la nuit. S’ils bénéficient d’une dérogation nationale jusqu’au 1er juin 2023, le règlement marseillais est plus strict. Le règlement local de publicité intercommunal (RLPi), signé par la mairie et la métropole, dispose qu’en centre-ville à Marseille “la publicité lumineuse, y compris sur mobilier urbain, est éteinte entre 23h et 7h” et entre 1h et 6h pour la publicité “supportée par un abri destiné au public”. Aucune de ces règles n’est respectée.

Un chiffrage difficile à faire

Vouloir quantifier la consommation d’énergie engendrée par ces publicités lumineuses s’avère très compliqué. Concernant les enseignes de magasins, c’est mission impossible : tout dépend du type d’éclairage utilisé. Pour les panneaux numériques classiques (ceux avec des écrans LCD) des données existent. Selon une étude de l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) de septembre 2020, ces écrans de 2m² consommeraient environ 2047,7 kWh par an pour 18 heures d’utilisation par jour. Rien qu’à la gare Saint-Charles à Marseille on n'en dénombre pas moins de 33. Chaque année, cela représente la consommation annuelle moyenne de 14,4 ménages. Il faut ajouter à la consommation d’énergie, toute la pollution engendrée par l’extraction des métaux rares qui composent ces écrans. Médiatransports a la charge de ces panneaux. La marque se défend en soulignant que leur déploiement "dé-densifie l’affichage papier, qui implique aussi des consommations d’énergie et a un impact carbone".

L’étude de l'ADEME n’apporte en revanche aucune indication concernant les panneaux fixes, rétro éclairés en permanence, très présents dans la rue et sur les kiosques. Si on observe la gare Saint-Charles, la Canebière ainsi que les Réformés, on en trouve 145, dont la moitié dans les stations de métros Noailles, Réformés-Canebière et Vieux-Port.

Au-delà de la consommation énergétique, les associations écologistes alertent sur les conséquences de la pollution lumineuse sur la faune nocturne. La lumière perturbe les cycles des insectes et dérange les chauves-souris qui s’alimentent de nuit. "La nuit on est censé être à une lumière d’environ 0,2 lux, détaille Véronique Sinou, responsable des Amis de la Terre dans les Bouches-du-Rhône. On peut monter à 10 avec un éclairage public. Les animaux ont l’impression de se retrouver en plein jour. Ça chasse la biodiversité des centres-villes.

Une “volonté politique” trop faible

En conséquence, bon nombre de municipalités en France ont déjà éteint leurs lumières la nuit, comme Nantes ou Grenoble. À Marseille, les discours sont forts. En novembre, Sébastien Barles, adjoint au maire, délégué à la transition écologique, avait participé à une manifestation organisée par les associations écologistes. “On cherche le démantèlement complet de ces publicités lumineuses extrêmement énergivores.

Son action, en revanche, reste difficilement perceptible. Il avoue un problème “de mise en application des textes qu’on a signés”. Les contrats des panneaux publicitaires JCDecaux ont été récemment renouvelés par la métropole. “On aurait préféré les supprimer”, concède l’adjoint marseillais qui constate que le sujet “n’est pas la priorité de la métropole”. Le dialogue entre mairie et métropole est dans une impasse. Pour les commerçants qui laissent allumés leurs enseignes la nuit, “il faudrait des brigades nocturnes qui tournent spécialement pour ça. Mais on manque cruellement d’effectif.” Comprendre : aucun contrôle des commerces n’est fait pour verbaliser ceux qui ne respectent pas la loi.

Sébastien Barles se dit “frustré” de cette situation. Il apporte son soutien aux collectifs écologiques “qui font un travail de vigilance citoyenne et de dénonciation indispensable”. De nombreuses associations écologistes lui ont adressé un courrier sur ce sujet courant décembre. “On a mené diverses opérations et constaté que les actes de la mairie étaient en contradiction avec leurs discours” expose Olivier Daniel, membre de Greenpeace à Marseille. En retour, la mairie a promis de traiter le sujet. “Ça fait trois mois et toujours rien, regrette-t-il. On est en train de réfléchir à d’autres moyens de se faire entendre.

Pour Véronique Sinou, la mairie est clairement en cause. “Elle reste frileuse sur ce sujet. On a beau avoir une majorité de verts-socialistes, tout tient à la volonté politique du maire. Le nôtre n’est pas un écologiste forcené.” Son association a publié une carte interactive, mise à jour par les usagers pour dénoncer les enseignes qui ne respectent pas la législation.

Tout éteindre ?

Pour ces associations, il est temps d’arrêter avec “le matraquage publicitaire qui nous plonge dans une société de consommation et détruit la planète”. Pendant qu'à Marseille mairie et métropole tentent de faire appliquer un règlement vieux de deux ans, à Paris la député Delphine Batho (Génération écologie) porte une proposition de loi visant “l’interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l’espace public”. Les associations écologistes ont été reçues le 15 mars pour faire valoir leurs revendications. Le texte sera discuté à l’Assemblée nationale le 6 avril à l’occasion de la niche parlementaire EELV. Il a peu de chance d’aboutir, la majorité s’étant déjà prononcée contre des amendements qui allaient dans ce sens. Quand bien même il serait adopté, encore faudrait-il l’appliquer.

*La métropole d'Aix-Marseille-Provence n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Auteur·trice
Louis Rengard

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