LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

Reportage: Un dimanche soir confiné avec le camion Pizz’Art

22heures, Roman et Alexis vendent leur dernière portion. (Crédits/Louise Aurat)

Depuis 2017, un petit camion jaune et noir anime le Square Stalingrad au centre-ville de Marseille : le Pizz’Art. Roman Berthelot et Alexis Lion, amis d’enfance, en sont les deux artisans. L’histoire d’une fine équipe et d’une belle affaire.

Il est 18 heures et le square Stalingrad s’obscurcit. C’est un lieu fréquenté, à deux pas du métro Réformés Canebière. Le camion pizza jaune et noir, couleur taxi New-Yorkais, est garé là, entre la route et l’imposante fontaine des Danaïdes. Une Citroën C25, un modèle des années 80. De la porte avant droite laissée entrouverte, de la chaleur et un morceau de rap s’échappent. Les portions de pizza sont alignées derrière la vitrine, les unes à côté des autres : la chèvre-miel (une des favorites), la champignon brousse (la provençale), la fromage (la classique). Dans l’habitacle, le four chauffe à 400°C et les deux associés, en jogging et basket, s’affairent. Roman s’occupe des pizzas, Alexis accueille et sert les clients. La semaine prochaine, les rôles s’inverseront.

« Et voilà la portion fromage. Je te mets un peu de piment avec ? 

–  Piment, tabasco, tout. J’ai besoin de réveiller mes papilles ! » s’égaye un monsieur.

A 33 printemps chacun, les deux Marseillais ont déjà plusieurs années de labeur derrière eux. Roman est arrivé sur le marché du travail à 16 ans, ce n’est pas son premier commerce. Il a aussi sillonné les routes en tant que chauffeur poids lourd. Le métier de pizzaïolo, il l’a appris dans un restaurant en 2011. Son collègue, électricien de formation, a travaillé en brasserie auparavant. Une connaissance, un propriétaire de camions pizza lui a donné l’opportunité de se former.

Depuis janvier 2017, les deux amis d’enfance font « la tournée ». Ils ont pour point commun d’être nés de parents artistes, comédiens pour l’un, musiciens pour l’autre. Le camion itinérant Pizza’Art perpétue un peu cette tradition. « C’est la liberté ! », apprécie Alexis, accoudé au comptoir. Quelques festivals de temps en temps, des mariages par-ci par-là et les semaines ordinaires, au Square Stalingrad, du jeudi au lundi. L’emplacement est précieux. Il a fallu faire une demande à la mairie et attendre un an avant d’avoir la réponse.

« Ah non désolé, là je peux pas avant vingt minutes », s’excuse Roman face à deux dames qui veulent commander une pizza entière. Elles hésitent.

« Franchement, je fais pas le Marseillais, je vous dis pas 10 minutes pour que vous attendiez 30 minutes ! » lance le cuisinier. C’est d’accord, elles patienteront.

« T’es sûre tu veux pas un petit bout ? Te gêne pas ! » 

Il y a plusieurs types de clients. Ceux qui mangent la portion devant le camion, appuyés contre un poteau, assis sur le bord de la fontaine. Les pressés, qui avalent la part en marchant. Les amis, qui partent la boîte sous le bras. « Tu vois de tout ici, les touristes, les extravagants, les bobos, les toxicos, les artistes… », énumère Alexis.

« Monsieur ma copine elle fait une crise d’hypoglycémie, vous avez pas une canette ? » interroge une adolescente derrière la vitre.

«  Iced Tea, Oasis ? » offre le pizzaïolo.

Des fois, on dépanne une cigarette, on prête un chargeur de portable. « T’es sûre tu veux pas un petit bout ? Te gêne pas ! », m’invite Roman. Lui et son compagnon ont le sens du commerce, mais ils sont surtout généreux.

L’ambiance est conviviale. On s’y tutoie, on tend la portion de pizza avec un clin d’œil complice. Le camion est un lieu d’attente, de rencontre. Pizz’Art ne fait pas de livraisons, sauf en cette période un peu particulière où les clients sont moins nombreux. « On préfère le contact humain », argumente Alexis, tout sourire.

« Je te dirais des nouvelles de ma viande ! », s’amuse le boucher, qui part avec deux boîtes sous le bras.

« J’habite pas loin, quand je passe devant je me dis, mmh tient une petite champignon. » 

Certains produits sont achetés dans le quartier. Les légumes et les champignons à l’épicier, la viande au boucher du coin. « J’habite pas loin, quand je passe devant je me dis, mmh tient une petite champignon. C’est de la gourmandise. Je te dis ça parce qu’ils entendent pas : Elles sont vraiment très bonnes, leur sauce tomate surtout », concède Bob, un habitant et client occasionnel.

Le camion à pizza jaune et noir n’a pas l’intention de disparaître du paysage du jour au lendemain. « Pourquoi changer un truc qui marche ? » souligne Roman en haussant les épaules . Même si depuis le mouvement des gilets jaunes et la crise du coronavirus, les temps sont plus difficiles pour la petite entreprise. L’ambiance n’est plus vraiment la même. Avec la fermeture des bars et des restaurants, la clientèle s’est réduite. La concurrence reste de taille, les pizzas ne sont plus les seules à être vendues « à emporter »  depuis déjà quelques années. Mais les deux hommes n’ont pas peur de travailler. Avant l’ouverture, trois heures de préparation sont nécessaires : les courses et la préparation des ingrédients. « Il faut de la rigueur. Faut avoir envie », confesse Roman, un pâton en main, prêt à être glissé dans le laminoir.

L’horloge noire, accrochée derrière le four est en panne ce soir. Le smartphone indique 21 h 45. Dans quinze minutes, la vente s’arrête. Et ce n’est qu’après les deux heures de ménage que la journée sera terminée.

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