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Tensions France-Turquie : la communauté kurde marseillaise mutique

Caricatures –  Les invectives des présidents sur la question de l’islamisme mobilisent peu les Kurdes qui vivent à Marseille.

  • Les déclarations et mesures d’Emmanuel Macron contre l’islamisme, vécues comme stigmatisantes, ont provoqué des tensions dans de nombreux pays à majorité musulmane dont la Turquie.
  • Le président turc a raillé la santé mentale de son homologue Français, et incité au boycott des produits hexagonaux.
  • Emmanuel Macron a rappelé son ambassadeur à Ankara ce dimanche et réaffirmé sa défense des caricatures de Mahomet.

« Parler cuisine OK mais politique, non« , assène le gérant d’un kebab turc du quartier marseillais des Réformés. « Il y a beaucoup de kurdes ici, mais ils ne vous répondront pas car ils ont des problèmes avec Erdogan », nous avait prevenu un restaurateur de Noailles. Comme dans la plupart des restaurants turcs du centre ville, majoritairement tenus par des kurdes, les sourires se ternissent à l’audition du nom de Erdogan, le président turc. « Je suis kurde alors vous savez, parler des propos de Erdogan… C’est délicat », reprend le restaurateur des Réformés, méfiant.

Crainte du régime turc

Cette importante minorité vivant principalement en Turquie, Iran, Irak et Syrie entretient un contentieux bientôt centenaire avec les autorités turques qui refusent de les laisser créer un état autonome et restreint leur liberté d’expression.

« Les gens ne parlent pas, même en France, parce qu’il n’y a pas de libertés », martèle D., venu au consulat turc à Marseille régler plus de 5000 euros pour l’exemption du service militaire turc. « Il faut que je fasse attention à ne pas être fiché si je veux continuer à aller visiter ma sœur et mon frère en Turquie », précise t-il. Ce trentenaire kurde immigré en France depuis plus de 5 ans pour « avoir une meilleure vie » se dit « espionné par le régime sur les réseaux sociaux. « 

Une dépolitisation apparente

Sous la tonnelle du consulat de Turquie à Marseille ce lundi matin, D. patiente en compagnie d’une quinzaine de personnes. On y parle démarches administratives, on y rigole, en turc… Mais pas un mot sur les récents accrocs entre les gouvernements français et turc.

« Cela ne nous concerne pas, c’est un débat de politiciens. On ne peut pas en parler», se défend un couple. « On vient de Turquie mais on travaille en France, on va à l’école en France alors tout ce qu’on veut c’est la paix » finit t-il par lâcher. « Je ne regarde pas la télévision, je préfère Netflix », prétend un autre homme.

À la télévision française ces derniers mois, de nombreux discours du gouvernement contre l’islamisme, ou défendant les caricatures de Charlie Hebdo, ont été tenus suite à l’assassinat du professeur d’histoire géographie Samuel Paty.

Les pays musulmans mobilisés

Autant de propos jugés islamophobes par Recep Tayyip Erdogan qui taclait la « santé mentale » de son homologue français sur les ondes turques ce week-end et appelait au boycott des marques françaises, à l’instar d’autres pays à majorité musulmane.

Pour une serveuse du cours Belsunce, cette incitation au patriotisme économique sonne comme un non-sens en France. « C’est bien de boycotter à l’étranger, il faut taper dans le porte-monnaie. Mais si on fait ça ici, on va manger quoi ? », se marre t-elle.

L’opinion kurde tiraillée

À Marseille, deuxième ville de France où la diaspora kurde est la plus importante d’après nos confrères du Ravi, et les Kurdes majoritairement originaire de Turquie dans la ville, se mobilisent pourtant fréquemment, dénonçant la politique autoritaire menée par le président et sollicitant l’aide de la communauté internationale presque tous les samedi lors de manifestations.

Mais cette fois-ci, le clash binaire entre les présidents trucs et français laisse peu de place à l’expression des deux tendances prédominantes d’une communauté kurde de Turquie majoritairement musulmane et anti Erdogan.

D. se définit comme musulman laïque. Il accepte de nous chuchoter son analyse devant l’entrée du consulat: « Les français devraient parler de toutes les religions pas seulement de l’Islam. Mais normalement, dans l’Islam, on n’a pas le droit de tuer comme l’a fait le terroriste. Erdogan joue sur l’Islam pour récolter des voix, c’est un bon acteur.»

Au pouvoir depuis 2014, Erdogan doit pour beaucoup sa place au vote des musulmans conservateurs pour son parti l’AKP, un argument qui aurait même convaincu une partie des kurdes, d’après l’historien Tancrède Josseran.

Craintes de représailles côté français aussi

Mais Erdogan n’est pas l’unique raison de l’absence de prise de position claire des kurdes de Turquie. Entre la confection de deux sandwiches, le jeune employé d’un kebab à Belsunce, raconte: « Avant je prenais la politique à la rigolade, je n’avais pas peur de m’exprimer sur les réseaux sociaux, maintenant je fais attention, que ce soit vis-à-vis de la Turquie ou vis-à-vis de la France ».

Ce vendredi, une jeune femme a écopé de 4 mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme en raison d’un message posté sur Facebook, et une quinzaine d’enquêtes ont été ouvertes par la justice.

Lui n’exprimera pas sur internet son opposition aux caricatures placardées dans plusieurs villes de France. Mais d’autres d’y sont frottés massivement sur Twitter en relayant le hashtag #boycottFrance.

Pour l’heure, l’expression de cette contestation n’investit pas la rue à Marseille, et aucune manifestation en opposition aux attaques d’Emmanuel Macron n’est prévue.

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