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Rugulopteryx okamurae : une prolifération désastreuse de l’algue à Marseille

L'algue prolifère dans les fonds marins et étouffe tout l'écosystème ©François Scorsonelli 

À Marseille la pollution de l’espace marin liée aux micro plastiques et à la pollution industrielle n’est plus la seule inquiétude. Une algue brune extrêmement invasive s’y propage et nuit à la biodiversité. Les scientifiques l’ont nommée “rugulopteryx okamurae”. Retenez bien son nom, nous n’avons pas fini d’en entendre parler. 

Il suffit d’un masque, d’une bouteille de plongée, d’une combinaison et d’un peu de courage pour le constater par tous les temps : l’algue rugulopteryx okamurae s’est bien installée à Marseille. Ancrée dans les eaux des Calanques, mais aussi en Espagne, cette espèce japonaise prolifère très rapidement. Il ne lui aura fallu que quelques années pour s’étendre et que, déjà, des conséquences soient visibles.

Une catastrophe pour la biodiversité marine

C’est une menace que les plongeurs du club « Marseille Sports, Loisirs, Culture » prennent très au sérieux. Ils suivent depuis cinq ans le développement de cette algue brune et pour eux, c’est indéniable : « Ici, à Marseille, elle a tout étouffé. Sous l’eau, ce n’est qu’une immense pelouse verte », raconte François Scorsonelli, plongeur à Callelongue.

Avec les autres adhérents du club de plongée, ils tentent d’alerter les autorités publiques et prennent régulièrement des photos pour suivre son évolution. L’Institut méditerranéen d’océanologie (MIO) s’occupe ensuite de récupérer des prélèvements, de les analyser et de cartographier la présence de cette algue en Méditerranée, notamment dans la rade de Marseille. Le MIO n’a toutefois pas souhaité nous communiquer davantage de précisions.

Nous savons cependant que la rugulopteryx okamurae a été repérée le long des côtes des Bouches-du-Rhône et en Espagne, le long du détroit de Gibraltar. Son développement au Japon est quant à lui maîtrisé grâce à des espèces prédatrices présentes dans son milieu naturel, mais qu’il serait très risqué d’intégrer en Europe. 

Envahissante dès que l’eau se réchauffe

Bien que limitée dans le monde, la présence de l’algue s’étend d’années en années. A l’été 2021, les gestionnaires des aires marines protégées de la Côte bleue et des Calanques ont exprimé leurs inquiétudes sur sa prolifération.

Lire aussi : Aires marines protégées en Méditerranée : Un simple trait sur une carte ?

Il lui suffit de roche, de sable ou de gravier pour se fixer sous l’eau jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Cette espèce forme alors de denses tapis d’une trentaine de centimètres de hauteur qui privent les espèces aquatiques de tout accès à la lumière. Un remplacement de la faune et de la flore s’opère alors au profit de l’algue japonaise. 

Selon des recherches menées par José Carlos García-Gomez, et relayées par l’Office français de la biodiversité (OFB), ​​un lien pourrait exister entre le réchauffement climatique et le développement de cette algue en mer. Ce sont en effet lors des pics de température relevés en Méditerranée que l’algue s’est le plus développée.

Du poisson pas commercialisable

L’enjeu est colossal pour l’environnement, mais ce sont aussi des professions qui sont affectées au quotidien. Les pêcheurs rencontrent de plus en plus de difficultés. Les filets nécessitent de longues heures voire des jours de démaillage. Une fois extirpée, sans lieu où l’évacuer, l’algue brune est rejetée à la mer. Un cercle vicieux et infernal. Sans compter sur le fait que, sous le poids des algues, le poisson est souvent abîmé dans la poche, écrasé et rendu non commercialisable.

Pourquoi nous la laissons se développer ? 

Aucun spécialiste marin n’est aujourd’hui en mesure de préciser jusqu’où cette algue pourrait se propager ni comment l’arrêter. Pour l’instant, les chercheurs de l’Institut méditerranéen d’océanologie (MIO) affirment que la Rugulopteryx okamurae est en pleine expansion et qu’elle n’a pas de prédateur en Méditerranée. Elle est donc incontrôlable dans cet espace marin. 

Dans l’attente de davantage d’études et de moyens financiers, les institutions locales se contentent de venir la ramasser quand elle s’échoue avant de la faire sécher et de l’acheminer à la déchetterie lorsque l’odeur est pestilentielle.

Rejet de gaz nocif dans l’atmosphère 

Menaçante pour les fonds marins, catastrophique pour les pêcheurs, une question se pose également sur la toxicité de cette algue venue tout droit du Japon. La population de la calanque de Callelongue y est exposée au quotidien. Ce que tout le monde craint, ce sont les rejets de sulfure d’hydrogène (H2S). Ce gaz se libère lors de la décomposition de l’algue hors de l’eau et est « extrêmement inflammable, mortel par inhalation et très toxique pour les organismes aquatiques », selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Lors d’une exposition prolongée, ce gaz peut, entre autres, provoquer des troubles neurologiques ou cardiaques, aussi bien chez l’humain que chez les animaux.

Où sont les rapports ?

Une première analyse a donc été commandée par la mairie en 2021. « Depuis la crise de la Covid, les marins pompiers sont la solution la plus agile pour nous. Ils sont équipés d’un camion mobile avec à l’intérieur un équipement incroyable qui permet de détecter du gaz sarin ou du H2S en un quart d’heure », détaille Christine Juste, adjointe au maire chargée de l’environnement. « Je leur ai donc demandé d’aller vérifier le taux de H2S à Callelongue suite aux émanations désagréables », complète-t-elle.

Des relevés faits sur une journée, qui ont confirmé la présence de sulfure d’hydrogène. Mais l’élue veut rassurer : « Le H2S a été détecté à des taux infimes, qui ne présentent aucun danger pour la population. »

Conflit politique

Une parole jugée insuffisante par les habitants, notamment Guy Barotto, président du Comité d’Intérêt de Quartier (CIQ) de Callelongue et Marseilleveyre. Il réclame depuis plus d’un an le rapport d’analyse détaillé. « Moi je pars du principe que quand on ne communique pas, c’est que les résultats ne sont pas bons. »

Il est né ici il y a plus de 60 ans et déplore le manque de réactivité et de coordination des pouvoirs publics pour faire face à cette problématique environnementale. Du fait de l’enclavement du petit port, des amas colossaux d’algues sont venus s’échouer sur le glacis, sans jamais repartir à la mer. Et à ce moment-là, personne n’a voulu prendre en charge le ramassage. « Les ports sont de la compétence de la métropole » clame-ton du côté de la mairie, tandis que la métropole fait la sourde oreille. « Ils ne voulaient pas s’en occuper par peur du H2S pour la santé de leurs agents, mais nous on nous répète qu’il n’y a aucun danger », s’agace-t-il.

Les élus sont donc à nouveau interpellés à ce sujet en 2022 alors que la situation empire dans la calanque. Cette fois-ci, Atmosud, l’Association agréée par le ministère pour la surveillance de la qualité de l’air en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, est chargée de venir faire des relevés pour analyser les taux de H2S. Des capteurs sont placés pendant un mois et demi sur un cabanon. Et dans le même laps de temps, la situation semble se débloquer du côté des élus. Les services de propreté de la métropole Aix Marseille Provence viennent, début mai 2022, retirer un stock de 30m3 d’algues échoué dans le port.

Dans son rapport, Atmosud indique : « Les concentrations en H2S se sont élevées brièvement sans pouvoir en déterminer clairement l’origine. » Pour autant, à l’heure actuelle, aucune autre étude n’est prévue pour comprendre la situation et les risques. Si le rapport conclut que « sur l’ensemble de la campagne de mesure, les concentrations en H2S sont faibles et stables », les plongeurs sont agacés : « Ils ont placé le capteur à plusieurs mètres de hauteur, et à plus de trente mètres de là où s’amassaient les algues… »

Aucune solution concrète sur la table 

Malgré la consternation, la problématique globale est jusqu’ici « passée sous les radars du fait de la crise Covid ou encore de la saison balnéaire », avoue Christine Juste. L’élue a néanmoins bon espoir de pouvoir solliciter les fonds nationaux, en interpellant Emmanuel Macron à ce sujet.

Frapper plus haut est aussi envisagé, en nouant une collaboration dans la recherche avec d’autres villes européennes impactées. « On sait que l’Espagne y travaille, mais je pense qu’il va falloir en passer par des fonds européens, lancer l’alerte, pour que vraiment les moyens soient mis », déclare l’adjointe. Mais pour l’heure rien n’est concrètement sur la table.

 “Si d’autres pays venaient à être infestés, ce serait une véritable tragédie pour les écosystèmes marins”

Pourtant le problème pourrait s’aggraver plus vite que prévu. Christine Juste se questionne sur « la possible prolifération et contamination d’autres milieux marins suite aux événements olympiques de Marseille ». Ces algues pourraient s’accrocher aux coques des bateaux norvégiens, australiens ou autres présents en 2024 dans la ville, pour les compétitions de voile et, dans le pire des cas, se répandre dans les eaux de leurs propres pays après la compétition. « Si d’autres pays venaient à être infestés, ce serait une véritable tragédie pour les écosystèmes marins », souffle François Scorsonelli.

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