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Aires marines protégées en Méditerranée : Un simple trait sur une carte ?

Alors que l’Europe fixe un objectif de 30% de couverture d’ici 2030, ce chiffre est déjà atteint en France depuis 2020. / Crédit : Louis Rengard

Les aires marines protégées (AMP) fleurissent en Méditerranée, à tel point que la France apparaît comme une bonne élève à l’international. Pourtant, les critiques, faisant de ces zones des “parcs de papier”, dues à un manque de moyens humains et financiers, continuent d’affluer.

L’Etat est assez défaillant sur la gestion des AMP depuis quelques années” lâche Didier Réault, le président du parc national des Calanques. La France fait pourtant preuve de volontarisme à l’international. Alors que l’Europe fixe un objectif de 30% de couverture d’ici 2030, ce chiffre est déjà atteint en France depuis 2020. Pour Annelise Muller, chargée eaux et mers chez France Nature Environnement PACA, “toute la question est de savoir sur quel territoire. Parce que si on inclut des mers australes en AMP, on atteint tout de suite ce chiffre”. Selon elle, les immenses mers éloignées sont moins accessibles aux scientifiques et, donc, moins sujettes à la controverse. Plus que sur la stratégie, Didier Réault dénonce “l’hypocrisie” du gouvernement. “Donner des chiffres, ça fait de beaux discours… Mais une zone protégée n’est pas un trait sur une carte ! Il y a des gens qui travaillent pour la surveiller, l’étudier, sensibiliser et sanctionner.

Qu’est-ce qu’une AMP ?

Mises en place à partir des années 60, les aires marines protégées sont des zones destinées à protéger la biodiversité marine. Elles portent un bon nombre de dénominations différentes : parcs naturels marins (Golfe du Lion), parcs nationaux (Port-Cros), réserves naturelles (Cerbère-Banyuls), parcs marins (Côte Bleue)… Toutes ne dépendent pas de l’État mais peuvent être gérées par les régions, les départements ou des syndicats mixtes d’acteurs locaux. Depuis 2006, ces zones sont classées en fonction de leur niveau de protection, allant de la protection “minimale” à la protection “intégrale” qui va jusqu’à imposer des interdictions de mouillage.

Les bienfaits de ces zones commencent à se voir. Au Parc national de Port-Cros, plus vieux parc français, le mérou était en voie de disparition au moment de sa création en 1963. En 20 ans, ses effectifs sur le parc ont été multipliés par 8,5. À ces bienfaits écologiques, s’ajoutent des bénéfices économiques. En 2020, une étude relayée par l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis démontrait que “l’expansion du réseau mondial d’AMP existant de seulement 5% peut améliorer les prises futures [résultats des pêches] d’au moins 20%”.

Bercy contre la création d’emplois

A sa création en 2012, le Parc national des Calanques comptait 39 emplois équivalent temps plein. “Aujourd’hui nous sommes 54 alors que pour fonctionner normalement, nous devrions être 69”, soupire son président. La dernière création de poste date d’il y a un an, “à la veille des élections” marmonne-t-il. “Les autres années, c’était du marchandage de tapis avec le ministère pour avancer sur les postes et les budgets. On vous répète à longueur de journée que la transition écologique est la priorité, mais si à la fin vous ne rentrez pas dans la bonne case du tableur excel à Bercy, ce n’est pas bon.” Résultat : “Moins de monde sur le terrain, moins de surveillance, moins de chef de projet donc moins de mécénat et moins de partenariat construit avec les collectivités. 

Pour pallier cet obstacle en Méditerranée, Annelise Muller désire “associer les populations locales, tant à la définition des périmètres qu’aux mesures à mettre en place mais aussi à la gestion en elle-même : tout le travail de contrôle, aux suivis d’évaluations, à l’application des restrictions, etc.” Elle prend comme exemple le Parc marin de la Côte Bleue, située à l’ouest de Marseille. “C’est un parc qui marche bien et ce n’est pas un établissement public. Il est géré par un syndicat mixte où les collectivités territoriales en sont l’organe décisionnaire.” Didier Réault mentionne la future zone protégée autour du Frioul. “Elle ne sera pas en cœur de parc et ce sera une gestion par le conservatoire du littoral du domaine public maritime, avec des moyens municipaux. Ça tend à aller vers une bonne gestion.

Une “imposture écologique”

Joachim Claudet, directeur de recherche CNRS au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe), préconise d’adopter “des règles contraignantes afin que les activités ayant un impact sur la biodiversité soient éliminées ou drastiquement réduites”. En 2020, une étude du Criobe concluait qu’en Méditerranée, “presque 60% des eaux françaises [avaient] un statut d’AMP, mais seules 0,1% [bénéficiaient] d’une protection forte”. Une proportion qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir augmenter à 5% d’ici 2027 en Méditerranée - 10% au niveau national - lors de son passage au congrès mondial de la nature en septembre 2021. Mais pour tenir ces objectifs, le président a redéfinit le statut des aires sous “protection forte” en considérant notamment que “la pêche ne peut être qualifiée d’incompatible avec la protection de la biodiversité”. Le texte n’interdit plus sur ces zones certaines activités proscrites jusqu’alors, comme la pêche. Vendredi 7 octobre, l’association Bloom qui lutte pour la préservation des océans a déposé un recours devant le conseil d’Etat contre le décret du 12 avril qui fixe ces objectifs. Elle dénonce une “imposture écologique”.

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Certains parcs ne décident pas eux-mêmes des interdictions. C’est le cas des deux parcs naturels marins en Méditerranée : celui du Golfe du Lion et celui du cap Corse et de l’Agriate. Si chacun possède un bureau scientifique, ceux-ci ne font que conseiller l’Office français de la biodiversité (OFB), le seul organe décisionnaire sous tutelle du ministère de la transition écologique. Voilà comment ces aires protégées se retrouvent parfois contraintes de suivre des directives ministérielles, même contre leurs propres intérêts écologiques.

Louis RENGARD

Auteur·trice
Louis Rengard

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