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Vinted : quand la seconde main devient fast-fashion

En France, Vinted compte près de 16 millions d'utilisateurs. Estelle Hottois

Les vêtements peu portés de leurs nouveaux nés, des robes de soirée pas encore essayées, des jouets neufs… Audrey, Floria, Flavia et Catherine sont adeptes de l’achat et de la vente de vêtements sur l’application Vinted depuis plusieurs années. Les quatre marseillaises avouent ne pas être convaincues par la dimension éco-responsable d’un vêtement qui parcourt parfois l’Europe pour arriver jusque chez elles.

Toutes l’ont découvert de la même manière, par le bouche à oreille d’une copine. Alors elles ont commencé par vendre les vêtements très peu portés de leurs enfants en bas-âge avant de comprendre qu’elles pouvaient aussi y faire leur propre shopping. Audrey est maman de deux enfants de 3 et 7 ans et utilise Vinted depuis trois ans : Je me suis inscrite pour vendre les habits de mes enfants, c’était un gâchis de ne pas réutiliser des vêtements de bébés très peu portés donc c’est un bon moyen pour moi de faire de la place tout en me faisant deux sous, se souvient-elle.

Catherine, 53 ans, utilise aussi Vinted pour habiller ses deux garçons dont elle a la garde seule. Au départ j’étais uniquement vendeuse mais très vite j’ai commencé à acheter pour mes fils. Les lots vendus par âge et taille me permettent de leur offrir des tee-shirts de marque neufs, se réjouit-elle.

La seconde main pour s’habiller à petits prix

Lorsqu’un utilisateur veut vendre un vêtement sur l’application, un algorithme lui donne le prix avec lequel il a le plus de chances de le vendre, en fonction du type de vêtement, de sa marque et de son état principalement. En faisant cela, Vinted incite indirectement les utilisateurs à pratiquer des prix plutôt bas et harmonisés car la recommandation se base sur les prix déjà pratiqués pour des articles similaires.

Si l’utilisateur n’est pas obligé de suivre les recommandations, il aura en réalité très peu de chances de recevoir une offre d’âge s’il veut pratiquer des prix élevés.

Pour chaque article posté sur l’application, Vinted propose un prix adapté à l’offre déjà existante.

Pour un pull en très bon état de la marque Zara, Vinted vous propose de le vendre à trois euros. Même pour des chaussures d’une enseigne onéreuse comme Jonak, les bottes vendues en très bon état sur l’application ne dépassent pas les 15 euros contre près de 200 euros à l’achat.

Lire aussi : Aux Terrasses du Port, la mode éco-responsable ne convainc pas les petits budgets

Cette possibilité d’acheter des vêtements même de marque à petits prix, ces Marseillaises l’ont vite compris : “Pour moi c’est vraiment un moyen d’économiser en achetant en lot et à bas prix”, explique Flavia, étudiante de 18 ans et adepte de l’application depuis plus de trois ans. Les lots permettent au moins de toucher une réduction de 20%.

Catherine, elle, a développé une stratégie pour faire de la place dans les placards de ses enfants et se faire plaisir de temps en temps : J’avoue que maintenant j’essaie de vendre les vêtements de mes fils pour cumuler l’argent sur l’application et me faire une réserve pour mes futurs achats. C’est une manière pour moi d’économiser un peu d’argent sur notre budget dédié aux vêtements.

Derrière la seconde main, les colis tous les mois

Si les quatre femmes apprécient le fait de faire de la seconde main avec Vinted, aucune n’est convaincue par l’argument écologique.

Pour Floria, une étudiante de 25 ans en comptabilité, l’argument d’éco-responsabilité n’est pas du tout rentré en compte quand elle a commencé à utiliser l’application il y a quatre ans : Si j’ai commencé à vendre c’est principalement pour me rhabiller à bas coût. Aujourd’hui je vends 5 pièces par mois et j’en achète 2, avec à chaque fois un colis et un transport différents donc je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est vraiment bon pour l’environnement”, confesse-t-elle.

“Je vends 5 pièces par mois et j’en achète 2, avec à chaque fois un colis et un transport différents.”

En 2020, l’entreprise lituanienne affichait le nombre de 2,2 articles vendus par seconde sur l’application. Selon un rapport d’une étude d’impact publiée en janvier dernier, Vinted assure avoir évité l’équivalent de en dioxyde de carbone (CO2) de 3,6 milliards de kilomètres parcourus en voiture. Parmi les marques de vêtements ou sites de seconde main, Vinted est souvent critiqué et parfois targué d’incarner la fast fashion de la seconde main. Selon une étude européenne menée par Savoo fin 2022, la marque la plus revendue sur la plateforme de seconde main est Zara. Vinted échoue ici et alimente le marché de la fast fashion dont les répercussions néfastes sur l’environnement ont déjà été largement documentées.

Pour la première fois en 2023, Vinted France a publié une étude d’impact écologique.

La durabilité se perd en chemin 

Pourtant, à ses débuts en 2008, l’application de seconde main se présentait davantage comme une manière d’échanger des vêtements entre personnes qui habitaient dans la même ville. Pendant plusieurs années, la norme était de faire du troc entre des personnes qui habitaient tout près l’une de l’autre, Vinted n’était que l’intermédiaire. Mais récemment, le site a décidé de retirer l’option permettant de sélectionner uniquement des articles disponibles à proximité et ainsi d’aller les chercher soi-même.

Catherine ne croit pas du tout à l’argument écologique : « L’emballage des colis et le nombre de kilomètres parcourus pour chaque envoi ne sont pas négligeables. J’ai déjà vendu des vêtements à des mamans dans le nord des Pays-Bas. » Vinted a rendu possible depuis plusieurs années la vente d’articles en Espagne, au Luxembourg, en Belgique ou aux Pays-Bas depuis la France. Et ils ne comptent pas s’arrêter là : À l’avenir, nous nous efforcerons d’agrandir encore plus notre communauté en joignant d’autres pays !, peut-on lire sur le site.

D’abord astuce de copine pour économiser de l’argent, Vinted est devenu un site de vente en ligne qui reproduit les mécanismes de surconsommation de la fast fashion. Pour Catherine, le problème est là : “Vinted n’a jamais été utilisé pour protéger l’environnement. L’argent que je gagne grâce aux ventes, je suis systématiquement tentée de le dépenser sur des articles qui me sont proposés, alors même que je n’en ai pas besoin.

Auteur·trice
Mathilde Duranton

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