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LE COIN DES PARENTS | Les plateformes de streaming rendent vos enfants pollueurs

Chaque jour, plus de 8,7 millions de personnes regardent du contenu sur des plateformes en streaming. CREDIT : Louis Rengard

Les confinements à répétition ont profondément renforcé les usages du numérique des enfants. Les plateformes de streaming telles que Netflix, Disney + ou Amazon Prime Vidéo sortent grandes vainqueurs de la période. Loin d’être des puits de carbone, comme les arbres, elles cachent pourtant la forêt d’un problème écologique encore peu connu.

Il est environ deux heures de l’après-midi. Des enfants âgés de 9 à 12 ans sont regroupés au premier étage du centre municipal d’animation Jeanne d’Arc dans le cinquième arrondissement de Marseille. 

Les animateurs les ont fait s’installer pour un temps calme après une journée de kermesse et d’activités sportives en tout genre. Assis en tailleur les mains dans le pop-corn, les enfants attendent, sages comme des images, que celles du téléviseur s’animent. En quelques instants, il devient noir et un N rouge grossit jusqu’à manger toute la surface de l’écran plat tandis qu’un clair et distinct “TOUDOUM” résonne. 

Ce clic anodin, pour accéder à du contenu sur des plateformes de streaming et de vidéos à la demande (SVOD), 8,7 millions de personnes l’exécutent chaque jour, notamment de nouveaux clients, vos chères petites têtes blondes. La plupart du temps, ils le font sans se représenter le trajet du contenu, ni ses conséquences. 

Une consommation qui explose

“Moi je consomme environ 24 heures de vidéos en streaming par jour”, s’égosille Emrys, lorsque vient le temps de la discussion après le film Monster House. Voix déjà rauque pour ses neuf ans, il apprécie l’effet de son annonce sur ses camarades qui surenchérissent avec des horaires invraisemblables. 

La réalité de leur temps de visionnage n’est pas moins affolante que les chiffres qu’ils hurlent à la volée. En reprenant avec eux, lors d’entretiens individuels, l’heure à laquelle ils rentrent à la maison après les cours et l’heure à laquelle ils se mettent devant l’écran, il apparaît qu’ils passent, en moyenne, 3h30 quotidiennes à regarder du contenu en streaming.

« Moi je consomme environ 24 heures de vidéos en streaming par jour !”

Ce résultat est plutôt représentatif de la tendance actuelle chez les enfants de leur âge. Selon une enquête menée par les chaînes M6 et Gulli et par l’entreprise d’études Harris Interactive, la consommation des 4-14 ans est fortement à la hausse. 

En moyenne, cette tranche d’âge a quotidiennement visionné 4h30 de contenus vidéo (VOD, SVOD, streaming et TV live confondus) en 2021, contre 4h15 en 2020, une année qui présentait déjà un chiffre record. Le confinement est en partie responsable de l’accélération et de l’entrée du streaming dans les usages. En effet, sur un an, la part des familles abonnées à au moins une plateforme de SVOD a gagné 11 points, pour s’établir à 87%. 

Enseigner le numérique

Les enfants ne sont pourtant pas forcément au fait de la pollution qu’entraîne le streaming. Quand ils l’apprennent, leur réaction est unanime : un regard vers le bas, honteux.

Franchement, je ne savais pas que c’était polluant, admet Ambrine un peu confuse.

Âgée de dix ans, elle aimerait en apprendre davantage sur ce sujet à l’école. “Avec ma maîtresse, on regarde toujours des films sur des plateformes comme Netflix, s’empresse-t-elle de dénoncer, et pourtant, je pense même pas qu’elle le sache.”  A la maison, Ambrine ne se plonge qu’une à deux heures par jour dans des vidéos sur Internet mais s’engage d’ores et déjà à réduire cette durée. 

D’autres, comme Rayane, neuf ans, sont plus suspicieux : “Moi, en fait, je suis d’accord pour baisser, mais d’abord, je veux savoir combien ça pollue.” Leur intérêt est manifeste. 

Dès qu’on leur apporte les informations nécessaires à la compréhension du sujet, les enfants font montre d’une vraie appétence selon Brice Pasian, acquis à la cause après avoir fait le tour des écoles de son département. En tant qu’animateur de fresques du numérique dans le Nord, il propose un atelier ludique et pédagogique de trois heures qui sensibilise aux enjeux environnementaux du numérique. “On met en avant l’obsolescence technique des équipements, se félicite-t-il, ça parait compliqué dit comme ça mais on se rend compte que, les enfants ne sont pas dans la même dynamique de consommation des adultes, ça leur parle vraiment.” 

Un usage peu émetteur

Pour autant, inutile d’inquiéter les plus jeunes : leur consommation, en soi, n’est pas forcément très émettrice. Selon l’outil de calcul Impact CO2, développé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), une heure de visionnage de streaming représente 64 g eq. CO2 par heure, soit autant d’émissions que pour parcourir trois cents mètres en voiture. Cela peut paraître dérisoire.

L’impact écologique du streaming n’est toutefois pas inexistant. D’abord parce que le chiffre donné n’est qu’une moyenne. Ensuite parce que le calcul de l’empreinte carbone du streaming dépend de tout un ensemble de critères. 

Franck Pramotton, basé à Nantes, travaille pour le compte de Green IT, une association française qui s’engage en faveur de la sobriété numérique. Il essaie de recenser l’ensemble des éléments de la chaîne de pollution. Selon lui, “les coûts d’usage varient d’un foyer à l’autre car il va y avoir une variation énorme de la puissance énergétique en fonction des équipements utilisés”. Si la consommation se fait en haute définition et par partage de données mobiles, elle sera beaucoup plus émettrice qu’en passant par la fibre avec une basse définition.

Ainsi, le calculateur Impact CO2 indique que pour une heure de vidéo en simple définition via la WI-FI, l’empreinte carbone du streaming sera de 42 g eq. CO2 par heure alors qu’à durée équivalente en 4K, via la 4G, elle sera de 209 g eq. CO2 par heure. Dans ce second cas de figure, c’est la transmission qui est particulièrement polluante.

La dangereuse “course en avant”

Ce n’est pas tant l’utilisation des terminaux qui est polluante que leur fabrication. Dans le cas précédemment évoqué, par exemple, la fabrication de l’ordinateur fixe représente 65% des émissions carbones du visionnage.

Maintenant intégrés au calculateur Impact CO2, le coût de construction des appareils et leur durée de vie sont souvent oubliés. “Cela pousse à sous-estimer l’impact écologique du streaming, martèle Franck Pramotton, parce qu’il y a une vraie difficulté dans le numérique à s’accorder sur les critères à prendre en compte dans les émissions. Or l’ensemble de la conception d’un appareil représente en moyenne 90% des émissions carbone qu’il produira au total car cela nécessite du travail dans les mines pour extraire des métaux, des terres rares et que les machines sollicitées sont particulièrement énergivores.”  

Si l’on considère que le streaming représente 1% des émissions de gaz à effet de serre mondiales (GES), c’est sans compter la surproduction qu’il génère. Son empreinte carbone ne peut se comprendre que s’il est perçu dans son ensemble, comme un véritable mouvement culturel.

En effet, “le streaming et la vidéo, c’est 80% du trafic Internet, s’inquiète le salarié de Green IT,  ils sont à l’origine d’une vraie course en avant car ils amènent à construire des autoroutes de transmission, des infrastructures et des écrans de plus en plus grands et à la résolution de plus en plus fine.”

Terrain propice au greenwashing

Pour ne pas entraver cet élan technologique effréné, les entreprises de télécommunications développent de nouveaux arguments. “La fibre est une connexion plus vertueuse d’un point de vue énergétique, peut-on lire sur le site d’Orange : se connecter sur Internet via la fibre consomme 3 fois moins d’énergie que lorsque l’on utilise le réseau cuivre.

Loin d’améliorer les comportements, ce type de discours rassure les clients sans engendrer de remise en question chez eux.

D’après Franck Pramotton, “le consommateur, soulagé d’être plus économe, se met à penser qu’il a une conduite vertueuse et qu’il peut se permettre d’investir dans d’autres équipements ou de visionner davantage de streaming. C’est ce que l’on appelle l’effet rebond.

Peu de régulation du streaming

De leur côté, les plateformes de streaming affichent une exemplarité de façade. Au printemps dernier, Netflix a annoncé un objectif de neutralité carbone d’ici la fin de l’année 2022. Pour l’atteindre, le géant de la SVOD présente des objectifs de réductions énergétiques en entreprise (utilisation de voitures électriques et mise en place de panneaux solaires) et de compensation carbone.

“Ce sont des stratégies qui permettent de gagner du temps”, décrypte la spécialiste de la sobriété numérique, Romane Clément. 

Toute l’année, par le biais de son association Ctrl s, elle accompagne les entreprises vers un modèle numérique plus responsable. Aux plateformes de streaming, elle conseille certaines pistes de transformation comme la “limitation de la recherche de meilleure résolution” ou “la fin des dark patterns”. Selon elle, ces mécanismes d’addiction poussent à consommer toujours plus : “On reste très longtemps sur Netflix quand on l’allume parce qu’il y a un système d’autoplay qui permet de lancer automatiquement l’épisode suivant.”

Rien n’interdit pour l’instant ce dispositif. En matière de régulation en France, la loi du 15 novembre 2015 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN) fait date. Elle prévoit entre autres de limiter le renouvellement des terminaux et de développer des centres de données moins énergivores, mais rien concernant le streaming. 

Quelques conseils

La responsabilité est alors reléguée à l’échelle individuelle dans la loi REEN. Elle donne la priorité aux petites actions avec son premier chapitre qui porte sur la formation des utilisateurs aux impacts environnementaux du numérique. D’où l’importance de les comprendre pour les transmettre aux plus jeunes, afin qu’ils puissent agir à leur échelon.

D’après Brice Pasian, animateur de fresque du numérique, “la culpabilisation n’est pas le meilleur levier”. Il recommande tout de même aux éco-citoyens en herbe l’adoption de quelques gestes salutaires : ne pas utiliser une résolution de haute définition (HD), ne pas consommer du streaming via le réseau mobile, ou encore, prendre soin des appareils pour qu’ils durent le plus longtemps possible.

Un moyen de forger les consciences de demain pour remettre en question l’arsenal numérique d’aujourd’hui. “C’est important de leur instiller les bons réflexes dès maintenant pour qu’ils soient plus critiques et réactifs que nous plus tard.”

La boîte à mots

CO2 : Le CO2 est aussi appelé dioxyde de carbone. C’est le gaz à effet de serre le plus communément émis par les activités humaines, en termes de quantité rejetée et d’impact total sur le réchauffement climatique.

Data center : Un bâtiment dans lequel de nombreux ordinateurs sont regroupés. Ils sont en permanence allumés pour stocker les données et les rendre accessibles.

Équivalent dioxyde de carbone : ou “eq. CO2”, ou « CO2e » est une unité permettant de comparer les impacts de divers gaz à effet de serre en matière de réchauffement climatique.

Gaz à effet de serre : Les gaz à effet de serre (GES) sont des gaz présents dans l’atmosphère qui absorbent la chaleur et maintiennent ainsi l’atmosphère de la planète plus chaude qu’elle ne le serait autrement. Ils sont majoritairement produits par les activités humaines, productrices de CO2 (usines, voiture, électricité etc.) et participent au réchauffement climatique.

Réchauffement climatique : C’est un phénomène global de transformation du climat. Il s’observe par l’augmentation moyenne de la température de la Terre, liée à l’activité industrielle. Ses causes ne sont donc pas naturelles mais d’origine humaine.

Résolution : qualité d’une image numérique, caractérisée par le nombre de pixels, par exemple : 720p, 1080p etc.

Streaming : Le streaming est un mode de consommation du contenu audio ou vidéo sur Internet sans téléchargement, en passant par des plateformes telles que Disney+, 6Play, Netflix, HBO, ArteTV.

Auteur·trice
Zoé Cottin

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