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Du Roucas-Blanc à la Belle de Mai, la fracture sociale jusque dans les urnes

Les affiches de Jean-Luc Mélenchon sur les murs du quartier de la Belle de Mai, dans le 3e arrondissement de Marseille. Crédits photo : Carla Butting.

Le Roucas-Blanc et la Belle de Mai sont deux quartiers marseillais que tout oppose. L’arrondissement le plus huppé de Marseille n’est qu’à quelques kilomètres du plus précaire d’Europe. Des inégalités sociales et économiques qui se manifestent dans le choix des candidats, à deux mois des présidentielles.

Dans le troisième arrondissement, la moitié de la population du quartier vit sous le seuil de pauvreté. Coincée entre une voie ferrée et des immeubles insalubres, la friche de la Belle de Mai offre un terrain de jeu aux enfants du quartier. Plus vaste centre culturel français, le seul du quartier, ce lieu a vocation à accueillir des expositions et des spectacles à destination des habitants. Miloud y emmène jouer ses quatre enfants.

“Ici ça ne vote pas en général” 

Le trentenaire a grandi tout près, dans un appartement, au sein d’une famille modeste. Il a déménagé à la naissance de ses quatre enfants, mais il revient souvent là d’où il vient, pour voir ses proches.

“Ici ça ne vote pas en général”, assure Miloud. Pour cet intermittent du spectacle “la plupart des habitants sont dans la précarité, ils n’ont plus d’attentes parce qu’ils se considèrent comme un peuple stigmatisé.” En 2017, le taux d’abstention avait atteint 37 % au premier tour, alors qu’au niveau national, seuls 22 % des citoyens avaient choisi de ne pas voter. 

Miloud va donner son vote à Jean-Luc Mélenchon en avril, comme en 2017, sans grandes convictions. “On attend plus rien des politiques maintenant, à part qu’ils dégradent encore plus le pays en 5 ans, qu’ils dilapident les acquis sociaux que nos parents, grands-parents ont réussi à bâtir.” Pour lui, l’élection présidentielle ne se joue pas dans le quartier de toute façon. “On hérite de décisions prises à Paris, qui ne sont pas du tout adaptées à la réalité du quartier”, conclut le père de famille. 

“Les politiques j’en attends plus rien”

Un peu plus loin, Augustine promène deux enfants à bord d’une poussette. La travailleuse sociale habite elle aussi dans le quartier, où, selon l’INSEE, le taux de chômage atteignait 27,4 % chez les 15-24 ans en 2018.“Oh la, les politiques, moi j’en attends plus rien. On peut changer les acteurs, mais le scénario est déjà écrit”, attaque celle qui avait donné son suffrage à Emmanuel Macron en 2017. “A l’époque, j’avais voté seulement au second tour, pour sauver la France de l’extrême droite”, assume Augustine. En 2017, dans cet arrondissement, Marine Le Pen avait récolté 25,62 % des suffrages. Aujourd’hui, si l’extrême droite se hissait au second tour, Augustine ne ferait plus barrage, “ même si à la fin il y a possibilité que ce soit Zemmour, parce que comme les autres, il ne fera rien de ce qu’il dira”.

“On votera pas en 2022”

Augustine n’est pas la seule à avoir l’impression d’être abandonnée par les pouvoirs publics. A quelques centaines de mètres d’elle, Dylan et Léa attendent le bus avec leur chien qui porte une muselière. Tous deux âgés de 23 ans, ils se sont installés en ménage cette année dans le troisième arrondissement. Elle n’a pas trouvé de travail depuis plusieurs mois. Lui est employé libre-service dans un supermarché du quartier. “Nous on a pas voté en 2017, et je pense qu’on votera pas non plus en 2022”, raconte Dylan en souriant. “C’est flou dans ma tête, je ne sais pas pour qui voter. Mélenchon c’est sûr que je vote pas pour lui, et alors Macron, encore pire, il sert à rien”. Le jeune homme se questionne, “le pays part en crise, alors pourquoi le réélire?« 

Changement de décor 

La vue des habitants du quartier du Roucas-Blanc dans le 7e arrondissement de Marseille. Crédits photo : Carla Butting.

A sept kilomètres à peine de la Belle de Mai, changement de décor. Il est 18h et le soleil commence à se coucher sur le 7e arrondissement. Une lumière éclatante remplit les rues vides du Roucas-Blanc. En provençal, cela signifie « rocher blanc ». Des collines qui surplombent Marseille sous le regard de la cathédrale de Notre-Dame de La Garde ; plus connue sous le nom de la “Bonne-Mère”. 

Ici, aucun immeuble, mais des maisons avec jardin s’alignent au bord d’escaliers en pierre qui descendent jusqu’à la mer. Le couple présidentiel est venu passer ses vacances dans l’une d’entre elles en 2017. Le comédien Kad Merad et l’animateur Laurent Ruquier vivent dans l’une de ces villas. Les trois quarts des 3710 habitants du Roucas-Blanc sont propriétaires. Leur revenu moyen s’élève à 3900 euros par mois. Même en fin de journée, les habitants se font rares sur la seule petite place du quartier. Un café, une pharmacie, une épicerie et un pressing se partagent l’endroit.

 “Je me suis retiré des listes électorales” 

Très accueillant, Arnaud confirme qu’ici il connaît bien la population. Il faut dire qu’il passe ses journées à laver et repasser leurs vêtements. Il arrive dans le quartier en 2019 pour être proche de son commerce. Il décrit son quartier comme “chic et huppé”, avec un électorat de droite. Lui, la politique, il n’y croit plus. “J’ai voté pour Macron en 2017. J’avais fait exprès de me réinscrire sur les listes pour lui car je pensais qu’il pourrait changer les choses.” 5 ans plus tard, il ne veut plus voter. “A cause des crises comme les gilets jaunes ou le Covid 19, on est les uns contre les autres, ça ne ressemble pas à la France”. 

Arnaud accueille l’un de ses clients dans son pressing du Roucas-Blanc. Crédits photo : Carla Butting.

Lors du premier tour en 2017, François Fillon avait récolté le plus de votes dans cet arrondissement, 27,5%. Au second tour, les habitants ont préféré le candidat d’En Marche à Marine Le Pen. 

“J’ai confiance en Macron” 

Emmanuelle habite ici depuis 18 ans. Elle avoue que dans son quartier on vote à droite, même à l’ extrême droite : “Marine Le Pen avait fait un bon score, cette année Eric Zemmour intéresse les habitants notamment sur l’aspect sécuritaire, j’ai un peu peur mais j’ai aussi confiance dans la réflexion des électeurs”. Dans les rues de ce quartiers, les maisons sont protégées par des alarmes et l’entrée des résidences sont surveillées par des vigiles. Pour elle, le candidat ne suffit pas, il faut voir plus loin et surtout participer aux autres élections. En 2017, l’auto-entrepreneuse vote pour Macron et en avril elle pense lui refaire confiance. “Avec ce gouvernement on a beaucoup d’avantages. Je suis aussi sensible à l’environnement mais il faut trouver des candidats capables de gérer le reste”. 

Ici, contrairement au centre-ville, des espaces verts sont présents un peu partout. Mais aucun logement social à l’horizon. Au Roucas-Blanc, la population est plutôt âgée. Vincent, la vingtaine, a pourtant choisi de s’y installer il y a quelques mois.

Je suis de gauche et j’espère le rester encore quelques années

Il sort de l’épicerie avec le sourire, un polo rose sur le dos. Vincent est musicien et habite le quartier depuis 2 mois. “Ici c’est calme, on ne croise personne, il n’y a pas de bars sympas, seulement des pavillons” analyse le jeune homme, qui a choisi le quartier pour son accès facile à la plage. Son combat pour cette présidentielle : la culture. “Je pense un peu égoïstement car je suis artiste, mais il me semble important d’investir dans la culture, dans l’émancipation des classes populaires, pour ensuite arriver à réduire les inégalités”. En 2017, Vincent a voté pour Mélenchon, cette année il n’a pas encore choisi mais il souhaite donner son vote à un candidat de gauche. 

Dans les deux quartiers une certitude : l’opposition du parti socialiste face aux républicains, n’intéresse plus les habitants. Ces derniers portent la plupart de leurs choix sur des candidats aux extrêmes.

Zemmour et Le Pen ils nous inspirent que de la haine” 

Retour sur le terrain de basket de la friche de la Belle de Mai. “Ici ça vote à gauche, Zemmour et Le Pen ils ne nous inspirent que de la haine”, argumente Aïcha. Pendant des heures, elle enchaîne les paniers avec son amie Mariama. Les deux adolescentes sont nées dans le quartier. Dans le troisième arrondissement, selon les statistiques de l’INSEE en 2013, un tiers de la population est issue de l’immigration. 

Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête du premier tour en 2017, avec 40% des voix, 20 points devant Emmanuel Macron, second du scrutin. Est-ce en raison de son programme qui veut améliorer les conditions d’accueil des migrants ? Âgées de 13 ans, les filles ne pourront pas voter en avril, mais nourrissent déjà leur conscience politique. “Si j’avais pu j’aurais voté… pour Mélenchon. Ma mère va voter pour lui”, avance Mariama. “Ma mère aussi”, scande Aïcha.

Un avis différent de certains des habitants du Roucas-Blanc. Préoccupé par la question, Gilles préfère les arguments avancés par Eric Zemmour.  

Je le trouve excellent” 

Il est arrivé au Roucas Blanc en 1974. Gilles, architecte naval, se sent très bien dans ce quartier qu’il décrit comme un “village au sein de la ville”. Attablé au café, un verre de vin rouge devant lui, il lit La Provence. Ce papa de huit enfants a voté pour Macron en 2017. “Je pensais que c’était Bonaparte, mais en réalité il n’a pas assez de cicatrices et il est très mal entouré.” Il critique l’utilisation de langue de bois dans le gouvernement, le rôle de Gabriel Attal mais aussi celui de Bruno le Maire : “il a laissé partir des entreprises françaises comme Lafarge ou Essilor, autant prendre l’épicier de Barbès comme ministre”. 

Gilles ne souhaite pas d’une politique sociale. D’après lui, les charges sont trop lourdes pour les entreprises et empêchent la juste rémunération des salariés. “ Je travaille depuis 50 ans et tout est parti dans les aides. Rien qu’au chantier naval de la Ciotat j’ai amené 50 millions de chiffres d’affaires. C’est grave de payer 80% pour les impôts.” Pour Gilles, le seul candidat raisonnable c’est Eric Zemmour. “Il met en perspective l’histoire de France, pourquoi il faut changer.” Surtout, il est d’accord avec lui sur la thématique de l’immigration “Eric ne dit pas de détester les étrangers mais juste qu’on ne peut accueillir en flot continu”.  Sa crainte pour les présidentielles est assez inattendu :  “qu’Eric Zemmour se fasse assassiner par un extrémiste”. En novembre, Eric Zemmour s’est rendu à Marseille, qu’il qualifie d’anti-exemple […] désintégrée par l’immigration ». Il est descendu de son train en provenance de Paris à Aix-en-Provence pour éviter la foule, et ses détracteurs.

Auteur·trice
Lisa Davet
Auteur·trice
Carla Butting

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