LE 13 INFORMÉ

Le journal école du master journalisme de l'EJCAM

L’Église 2.0

Les bénitiers ont été vidés, les portes fermées. Cette année, les messes de Pâques ont eu lieu sur YouTube. Crédits: Michael Morse/ Pexels

Les mesures de confinement suite au développement de la pandémie de Covid-19 ont forcé les Églises en France à se positionner face aux technologies numériques. Apprentissage de l’outil, nouvelle place à l’interactivité, élargissement de l’audience : les chrétiens se renouvellent, pour le meilleur et pour le pire ?

Les gens d’église semblent pris d’une frénésie de numérique à rendre jaloux un ado geek.  Et le mouvement ne se tarit pas, même si les églises ont rouvert le 3 décembre dernier. Des centaines de prêtres ou de pasteurs lancent leur chaine youtube ou leur page Facebook, en leur nom ou en celui de leur paroisse ou diocèse. Des messes de plus en plus créatives au service d’une nouvelle communauté. 

 « Du confinement nous avons tout appris »

La vieillissante religion chrétienne a besoin de changer de style et elle le sait. Depuis plusieurs années, elle commence à se servir du web et le confinement  a accéléré ce phénomène en empêchant de se retrouver.  Au point que la plus vieille émission du paysage audiovisuel, le Jour du Seigneur a explosé ses audiences. Si la plupart des messes postées en ligne sont de simple retransmission d’un huit clos dans l’église, d’autres osent le direct et ouvrent la voie aux commentaires. Le théologien Gérard Delteil y voit un renouveau positif : « Grâce au dispositif du chat, l’auditeur participe à l’émission. C’était tâtonnant, jamais sans risque, l’intervenant s’exposant sans recul à des questions inattendues. Mais cette dimension d’interactivité donne, je crois, un accent d’authenticité. La parole devient alors conversation. Elle se livre sans masques. » 

Plus d’interactivité et un cadre parfois loin du formel. Sur sa chaise de jardin, Anne-Sophie Dentan a délaissé son habit de culte pour une chemise du quotidien. Au culte en présentiel, la pasteur du Vigan, dans les Cévennes, a ajouté un nouveau rendez-vous sur le web. Deux fois plus de boulot, mais deux fois plus de satisfaction. Son fils lui a montré les rouages du montage. Désormais, elle ajoute musiques, images et citations sans difficultés sur ses vidéos Youtube. Cette demande de culte en ligne vient des croyants eux-mêmes. « Pendant les cultes en physique, cet été, on était au maximum 60, désormais sur le web ils sont plus de 250 et de la France entière.  Pas seulement de Vigan. »

En ligne, passées les difficultés techniques d’une génération pas toujours jeune, l’audience peut s’élargir. « Il a y’a ceux qui ne pouvaient pas se déplacer comme les personnes trop âgées, malades ou les handicapés physiques », explique la pasteur. L’Eglise en s’élargissant au web a apporté un regard neuf sur des pratiques inconscientes d’exclusion. 

D’un autre coté, en 2020, aller à l’Eglise n’est plus toujours une pratique revendiquée avec fierté : « une part des croyants du village préfère que les autres ne le sachent pas, par pudeur. » Et nombreux sont ceux à la recherche d’une parole plus philosophique. Plusieurs pasteurs tentent alors de proposer une parole plus existentielle à travers ce nouveau format web, qui permet plus de souplesse. Et l’audience explose. Une nouvelle part de la population, à la recherche, peut être, d’un réconfort en cette période sombre, vient chercher des réponses.

La solitude de la réception : un déliement de la communauté ? 

Seul devant son ordinateur, la réception du message reste différent. La démarche n’est plus celle d’une communauté qui se rassemble physiquement et prend corps autour d’une Parole. C’est davantage à chacun d’intérioriser ce qu’il reçoit : « ce qui se rapproche d’une démarche de spiritualité », explique Gérard Delteil.  « Le plus intéressant ce fut peut-être cela : se chercher alors un nouveau langage. La Parole ne saurait être un discours pour initiés, il lui faut trouver plus de naturel, rencontrer l’auditeur dans l’intime de son existence. Aller au cœur », souligne le théologien. Un langage différent pour une communauté différente qui peut inquiéter l’Église. Si chaque prêtre ou pasteur se met à créer son propre discours à travers sa page Youtube, au nom de l’Église, comment peut-elle rester unifiée ? Le développement d’une Église hybride, mêlant le virtuel et le physique, ne se fera pas sans complication. Car il ne peut y avoir deux communautés concomitantes et ignorant tout l’une de l’autre, l’une en ligne et l’autre dans le monde physique.

Des enjeux plus ou moins faciles à résoudre selon les religions. Ni les protestants ni les musulmans ne sacralisent les lieux de culte en tant que tels. Le « basculement » numérique est facilité. Pour les catholiques, les orthodoxes et les luthériens, le basculement se heurte à un problème majeur : la célébration de la présence divine par l’eucharistie, impossible à réaliser en ligne.

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